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Le roi et le prevot

5 décembre 2012

Le roi et le prévôt Janis Otsiémi Editions des

  

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Le roi et le prévôt

 Janis Otsiémi

Editions des Signes

© 2013

 

Prologue

 Omar Bongo Ondimba et Zacharie Myboto ont des racines communes. Ils sont tous deux natifs de la province du Haut-Ogooué. Ils sont aussi tous deux enfants de la coloniale. Ils ont le même goût pour le pouvoir. Mais la comparaison ne s’aventure pas plus loin car les extrémités de chacun se révèlent au bout de l’introspection des deux personnages au point que l’un apparaît comme l’antithèse de l’autre.

S’ils sont tous deux originaires du Haut-Ogooué, l’un est né à Léwaï, l’autre à Omoï. S’ils sont tous deux enfants de la coloniale, l’un est Téké, l’autre Nzébi. L’un a connu des débuts austères et tumultueux, l’autre a eu un parcours pieux. L’un a fait son chemin à Brazzaville, l’autre à Franceville. L’un a fait sa carrière dans l’armée, l’autre dans l’enseignement… La ligne rouge qui les démarque est longue comme un pain sans jour. Mais ironie de l’histoire, leurs destins se croiseront un jour et leur mariage durera près d’un quart de siècle avant le divorce.

Le divorce. Le mot est lâché. Remontons brièvement le temps avant la plongée en eau trouble.

Le 30 avril 2005. Soit quatre ans après son retrait du gouvernement au sein duquel il occupait le strapontin des Travaux publics, Zacharie Myboto proclame officiellement sa démission du Parti démocratique gabonais (P.D.G)  dont il fut l’un des plus fervents idéologues. Le nouvel transfuge du P.D.G annonce par la même occasion la création de sa propre formation politique, l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (U.G.D.D). Tout ça ressemble étrangement à un discours de présidentiable. Hier vice-amiral du régime, voilà le camarade Myboto capitaine de sa propre flotte !

Mais bien avant l’annonce de la création de l’U.G.D.D, Zacharie Myboto solde ses comptes avec ses anciens camarades du P.D.G. Il psalmodie au lance-flamme un violent réquisitoire contre le régime qu’il taxe de corrompu. Il demande ensuite pardon à ses compatriotes pour les erreurs commises naguères comme un pécheur qui irait chez le prêtre pour une confession, mais qui refuserait de citer chacun de ses crimes ou péchés pour lesquels il recherche le pardon et la bénédiction de Dieu.

La démission de Zacharie Myboto fait l’effet d’une bombe dans tout le pays. Les formules assassines de Myboto font la manchette des journaux. Issu de l’une des ethnies les plus nombreuses du Gabon, Zacharie Myboto était considéré comme le numéro deux du régime pour avoir été Secrétaire administratif de l’ancien parti unique pendant 17 ans et membre du conseil exécutif sans discontinu pendant 23 ans. « Le jour du départ de Myboto du P.D.G, j’ai perdu une bonne partie de mon sommeil bien que nous savions au parti et au gouvernement ce qu’il préparait, avoue un membre du bureau politique du P.D.G qui requiert l’anonymat. Mais nous étions loin d’imaginer qu’il pousserait le culot aussi loin pour apparaître comme le challenger du chef de l’Etat. Pendant tout le temps qu’il avait servi au parti, il avait placé ses affidés partout. Et nous craignons qu’un bon nombre d’entre eux ne le suivent. Il y en a eu pas mal. Mais il nous a fallu faire un débauchage à coup de millions de francs déguisé en démission en cascade au sein de la formation politique de Myboto».

Pour arrêter l’onde de choc du séisme nommé « Myboto », le pouvoir monte au créneau. Pour ses anciens camarades de l’ancien parti unique, Zacharie Myboto venait de monter une marche de trop. Ses airs de franc-tireur à l’Assemblée nationale après son retrait du gouvernement en 2001, ça passait encore. Mais de là à tenir un langage présidentiable et se positionner comme un challenger, une alternative crédible au président Bongo, son parrain, ça en est trop ! Ah, l’ingrat, le félon, le traître, le Judas !

Et très vite, la machine, « la caravane qui écrase le chien qui aboie » se met en marche. Le premier à allumer la poudre est René Ndemezo’ Obiang. En sa qualité de premier canonnier de la République, c’est-à-dire en sa qualité de ministre-porte-parole du gouvernement et d’adjoint au Secrétaire général du P.D.G.

René Ndemezo’ Obiang ne mâche pas ses mots. Il qualifie la démission de Zacharie Myboto de « non-événement » : « Du point de vue du Parti démocratique Gabonais, c’est un non-événement pour plusieurs raisons. D’abord pour rappeler en ce qui concerne la création des partis politiques que le paysage politique gabonais renferme une multitude de formations politiques qui se créent tous les jours, par conséquent, l’annonce de la création d’un parti politique de plus dans le paysage très riche du Gabon en la matière ne peut pas créer l’événement (…) Si cette démission était intervenue à l’époque où Monsieur Myboto était Secrétaire administratif du parti, je crois qu’elle aurait eu une signification. Aujourd’hui, Myboto n’est plus dirigeant du Parti démocratique gabonais. Il n’est plus membre du Bureau politique. Certes, son annonce se fait au moment où il est élu, mais il est simple militant ordinaire du Parti démocratique gabonais. » 

René Ndémezo’ Obiang s’inscrit ensuite en faux contre les accusations portées par Zacharie Myboto : « Monsieur Myboto n’est pas qualifié pour faire le procès du P.D.G. Il a été Secrétaire administratif du P.D.G. Cela veut dire qu’il a été au quotidien le dirigeant du Parti. Si le P.D.G a mis le pays en faillite, cela voudrait dire qu’il veut faire son propre procès. Pendant 23 ans, il a siégé sans discontinu au gouvernement. Il a eu une influence générale dans l’action du gouvernement ».

Les arguments de René Ndemezo’ Obiang ne manquent pas de piment. En effet, la nouvelle casquette d’opposant de Zacharie Myboto laisse un bon nombre d’observateurs dubitatifs et sceptiques au point d’arriver à leur faire penser que sa candidature à la présidentielle de décembre 2005 ne s’agirait que d’un « tour de prestidigitation du régime Bongo » ou d’une effronterie qui le permettrait de négocier son retour dans l’écurie de son parrain. Cette acception est largement partagée par le B.D.P de Mengara qui écrit sur son site web en mai 2005 : « Quelle meilleure stratégie donc que de faire passer dans l’opposition son ami le plus fidèle qui, sachant très bien qu’il ne pourrait battre Bongo, lui assurerait néanmoins une « victoire » digne de ce nom, une victoire que les deux  compères iraient par la suite festoyer après l’élection au travers d’une alliance de gouvernement d’unité nationale figurerait de nouveau aux premières loges le pseudo-opposant… Zacharie Myboto ».

L’acharnement du pouvoir à l’encontre de Zacharie Myboto au lendemain de la contre-attaque de René Ndémezo’ Obiang est une grossière erreur de stratégie et produire l’effet inverse. D’un « non-événement », la démission de Zacharie Myboto va devenir très vite un « phénomène » au point que la presse nationale et internationale va cristalliser la présidentielle de décembre 2005 en un duel Bongo-Myboto, ce malgré la présence à cette présidentielle d’un ténor de l’opposition tel que Pierre Mamboundou.

La démission de Zacharie Myboto du P.D.G ayant entraîné la vacance du siège de député de Mounana qu’il occupait encore au lendemain de son retrait du gouvernement en janvier 2001, des élections partielles sont organisées dans les deux mois qui suivent selon la constitution et la loi 7/96 portant dispositions communes à toutes les élections politiques. Ces élections vont donner lieu à une véritable « chasse à l’homme ». « On déballe sur la place publique les mauvaises fréquentations de Zacharie Myboto, son amitié avec le président Ivoirien Laurent Gbagbo. Appartenant à l’ethnie nzébi, l’une des plus importantes après les fang, Zacharie Myboto est accusé par ses anciens compagnons de tribaliser son parti politique, de fragiliser la cohésion nationale en recrutant des Nzébi du Congo qui n’ont jamais accepté la chute de Pascal Lissouba, déposé militairement en 1997 par Denis Sassou Nguesso dont la fille, Edith Lucie, n’est autre que l’épouse du président Bongo.»[1]

 

Zacharie Myboto se plaindra des « viles méthodes » du pouvoir dans une lettre ouverte qu’il adresse en octobre 2005 au président Bongo : « Depuis ma démission (…), vous avez agi auprès de mes proches et de ceux des miens, en leur intimant l’ordre de ne plus me fréquenter (…). Ces viles méthodes rencontrant des résistances, vous avez mis en place une stratégie (…), à savoir l’achat des consciences. Mon nom est devenu, depuis un moment, un fond de commerce, la délation l’entoure au quotidien et une des voies de prédilection que vous avez choisie, est celle du financement à coups de nombreux millions de francs, des démissions prétendues ou forcées de l’U.G.D.D, le parti que j’ai créé le 30 avril (…) Depuis lors, je suis livré à la vindicte populaire, et traité de tous les noms d’oiseaux par le pouvoir qui me fait passer pour quelqu’un de violent, de va-t-en-guerre. Quelqu’un qui veut ensanglanter le pays en y causant une guerre civile. Quelqu’un qui entretient des milices comme bras armés pour accomplir ses basses besognes. Quelqu’un qui a une cache d’armes ».

Le P.D.G qui entend conserver ce siège et démentir par la même occasion la popularité supposée de Zacharie Myboto met les bouchées doubles. Flairant la manœuvre, Zacharie Myboto se débine pour la reconquête de son siège de député de Mounana. 

Les nombreuses ambassades menées en secret ne réconcilieront pas les deux hommes. La rupture semble consommée. On l’aura sans doute compris. Cet essai a pour ambition de raconter par le menu les raisons véritables de la rupture entre Omar Bongo Ondimba et Zacharie Myboto.

1.

 ’est sous les mauvais auspices que s’ouvre l’aube de la vie du jeune Omar Bongo Ondimba, de son vrai nom, Albert-Bernard Bongo, né le 30 décembre 1935 à Léwaï « dans l’herbe » d’une famille paysanne de neuf ans. Il perd son père dès l’âge de sept ans. Le jeune Bongo en restera marqué comme il le souligne lui-même : « Jusqu’à l’âge de sept ans et demis, c’est-à-dire jusqu’à la mort de mon père, j’ai été un enfant heureux qui vivait rythme de son village, qui mangeait à sa faim et n’éprouvant aucun sentiment de frustration vis-à-vis de quiconque[2] ».

Conséquence désastreuse de la mort de son père : le jeune Bongo doit quitter son village natal pour rejoindre à Zanaga son tuteur Basile, garde territorial qui travaillait sur la route en construction qui devait relier le Congo au Gabon, via Franceville. Après un voyage en voiture jusqu’à Franceville, c’est à pied que le jeune Bongo fera le reste du plancher des vaches jusqu’à Zanaga. Il restera deux ans à Zanaga « à vagabonder à droite et à gauche » avant de mettre pied à l’école. Et c’est à la demande de son tuteur qu’il y entrera pour la première fois en octobre 1945. « Le premier jour, écrit-il, je fus paniqué. Mais le deuxième jour, ça allait mieux. J’avais soif d’apprendre[3] » Mais le jeune Bongo bonne doit abandonner un an plus tard sa première école. Il part pour Brazzaville à l’école publique Bakongo qu’il quittera deux ans plus tard pour rejoindre en compagnie de son grand Basile son tuteur qui vient d’être affecté à Impfondo. C’est donc dans cette petite ville dans le nord du Congo que le jeune creuse son sillon.

Si le jeune Bongo est un très bon élève à l’école, un événement va complètement bouleverser sa vie. Retenu parmi les meilleurs élèves de son établissement pour aller poursuivre leurs études en France, Bongo doit s’accommoder de l’autorité de son tuteur qui non seulement lui refuse son autorisation mais propose un membre de la famille à sa place.  Il s’en explique en ces termes : « C’était pour mon tuteur un problème d’autorité en tant que chef de clan, s’explique Bongo. Selon lui, si quelqu’un de la famille devait bénéficier d’un voyage en France, ce ne pouvait être moi, mais un de mes cousins plus âgé »[4]

Enfant espiègle, bagarreur et turbulent comme tous les jeunes gens de son âge, Bongo n’est pas seulement un très bon un élève, mais aussi un enfant respectueux de « toutes les coutumes et les pratiques qui régulaient le comportement collectif de [son] village ou de [son] clan »[5] malgré le fait que certaines d’entre elles le rebutaient et lui apparaissaient inadéquates à son époque. Et voilà comment on le récompense !

Bien que le jeune Bongo ne manifeste pas son mécontentement, cette attitude qu’il « trouve inique » va profondément le consterner. « J’avais compris depuis longtemps que l’injustice existait parmi les hommes mais je ne supportais pas qu’elle puisse s’infiltrer dans le clan familial »[6].

Si la direction de l’école décide que « si Albert Bernard Bongo n’était pas désigné, son cousin ne le serait pas non plus », la cassure s’est déjà produite. Si je puis me permettre un sacrilège : sans cette cassure, Bongo ne serait certainement pas devenu ce qu’il est devenu par la suite.

Après cette injustice, le jeune Bongo est gouverné par un entrelacs de sentiments et de pensées. Ressentiment amer et farouche désobéissance font désormais bon ménage dans son cœur. « J’étais amer et découragé, di-t-il. Conséquence : je travaillais moins, je manquais l’école, sentant monter en moi pour la première fois, un sentiment de révolte »[7].

La révolte. Le mot est lâché. C’est désormais sous le sceau de la révolte que le jeune Bongo mènera comme une barque sa vie. Révolte contre l’autorité tutrice. Révolte contre toute autorité. La traduction de cette révolte sera violente : « Un jour un maître tenta, explique-t-il, de me faire revenir sur le droit chemin à coups de chicote, qu’il utilisait à l’excès. Mais il s’est passé alors quelque chose d’imprévisible : j’arrachai la chicote de ses mains et le frappai à mon tour sur le corps et la tête (…). Après cela, j’ai évidemment dû prendre la fuite pour ne plus revenir à Impfondo »[8].

Cette fuite va se transformer en une véritable cavale. Le jeune Bongo trouve refuge chez un ami centrafricain qui lui donne le gîte, le couvert et des vêtements. Un autre de ses amis, directeur d’école, lui établit un faux certificat de scolarité qu’un autre de ses affidés glissera subrepticement dans une pile de correspondance que le sous-préfet de la région d’Impfondo doit signer. Et c’est « fort de ce viatique » que le jeune Bongo embarque à bord de La Fondère, un bateau qui descend le fleuve Congo jusqu’à Brazzaville. Sans un sou vaillant, le jeune Bongo est donc un passager clandestin. Et manque de pot, il s’y fera prendre comme un bleu : « A l’époque, dit-il, j’ai un peu turbulent et je me suis lancé dans une bagarre avec le personnel de bord qui m’amena devant le commandant de bord du navire. Celui-ci me confisqua mon certificat de scolarité : c’était mon seul bien ! ». Mais la chance va à nouveau sourire au jeune Bongo : « L’opérateur de bord, un compatriote, prit son [son] sort en pitié et composa un faux télégramme selon lequel [il allait] recevoir, à [son] arrivée à Brazzaville, un mandat télégramme qui [lui] permettrait de régler [son] billet après le débarquement ! »[9].

Jolie menterie ! Le commandant de bord mord à l’hameçon et consent à lui restituer son certificat de scolarité contre la promesse de revenir à bord de son bateau avec l’argent de son billet une fois arrivé à Brazzaville. Mais c’est mal connaître le jeune Bongo qui est décidé à ne pas se retrouver devant un commissariat de police. Le commandant de bord « était-il dupe ? » se demande encore aujourd’hui Omar Bongo lorsqu’il se remémore sa belle supercherie. Il n’en sait rien. Une fois sur la terre ferme, Bongo prend ses jambes à son coup et disparaît illico presto « muni de [son] seul certificat dans ce qui était alors la capitale de l’Afrique Equatoriale Française ».

A Brazzaville, le jeune Bongo est recueilli par un autre de ses frères. Il retrouve alors une vie de famille et peut reprendre aisément ses études. En 1952, il obtient son certificat d’études, un authentique, cette fois. Il est admis où lycée technique de Brazzaville où il se découvrira l’acabit d’un « meneur d’hommes ». « Je garde de cette période un excellent souvenir, dira-t-il plus tard. A l’exception des mathématiques, toutes les matières m’intéressaient. En particulier le français. Les professeurs appréciaient mon travail et me le faisaient savoir. J’entretenais avec mes camarades des rapports cordiaux. J’étais à l’époque un peu leader. Je lisais tous les livres qui me passaient sous la main, mais d’une curieuse façon : je ne pouvais m’empêcher de dialoguer mentalement ou à haute voix avec les auteurs pour les convaincre de modifier leur texte, de corriger une situation, de nuancer leurs idées ! J’avais un goût marqué pour la discussion, l’échange et les explications ! »[10].

C’est la révolte contre l’autorité tutrice qui fait fuir Bongo d’Impfondo pour Brazzaville après son altercation avec son maître. C’est le même sentiment de révolte contre les inégalités de la société coloniale qui le sera le catalyseur de son engagement politique. Cela va le pousser à une seconde rupture qui marquera sa vie autant que la première.

En effet, la société brazzavilloise dans laquelle le jeune Bongo évolue est une société de classe. Cette société de classe, il la décrit lui-même en ces termes : « En haut, il y avait les Européens, avec leur propre hiérarchie il y avait les Européens, avec leur propre hiérarchie : les dessus de panier était constitué des membres de la haute administration, des officiers supérieurs, des représentants locaux des grandes sociétés ainsi que des gros commerçant qui vivaient dans l’opulence et organisaient des réceptions somptueuses. Un cran en dessous, on trouvait la masse des fonctionnaires, des militaires et des cadres des sociétés privées. Puis venait la cohorte des « petits-Blancs », petits fonctionnaires, petits employés, prospecteurs forestiers et miniers, sous officiers, etc. L’élite étant constituée par les hauts fonctionnaires issus de l’Ecole des cadres. Les fonctionnaires intermédiaires avaient été formés dans les écoles techniques comme le Collège de Dolisie. A côté de ces classes plus ou moins privilégiées vivait un prolétariat démuni, composé d’employés subalternes, d’ouvriers et de domestiques  »[11].

Cette société de classe avec ses privilèges, il ne fait pas que la constater et la décrire, mais il la vit aussi parce qu’elle se reflète « dans le microcosme où l’on voyait les enfants de nantis arriver en voiture, d’autres à bicyclette, avec des vêtements bien coupés, tandis que le plus grand nombre, dont j’étais, venait en autobus ou à pied, vêtu de la petite tenue de drill kaki, qui était l’uniforme des enfants pauvre. L’étalage de ces inégalités a forgé mon caractère »[12].

Pour échapper à la classe prolétarienne et « venir en aide aux plus démunis », Albert-Bernard Bongo préconise « le travail et le militantisme pour accoucher d’un socialisme à visage humain ».

Le travail.

C’est dans une revue qui parle de la téléphonie sans fil (TSF) qu’Albert-Bernard Bongo découvre une école où l’on forme des opérateurs radio. « J’ai trouvé la filière intéressante. Avec plusieurs camarades, on fait des dossiers de candidature. On les envoie. Et voilà qu’un jour, nous sommes appelés au tribunal. Et là on nous a dit : pour aller étudier en France, il faut que vous deveniez citoyen français ».

Si le jeune Bongo acquiert la citoyenneté française bien qu’il pense naïvement que celle-ci fera de lui un « Blanc », il renoncera plus tard à aller étudier en France : « J’avais d’autres ambitions que de devenir opérateur radio (…). J’étais jeune, je voulais élargir mes horizons ».

Mais si Bongo ne veut guère devenir un opérateur radio, c’est dans les Postes et télécommunications qu’il fera sa carrière professionnelle. Après son exclusion du lycée technique – un fait devenu un secret d’Etat -, il trouve un poste à la Grande poste de Brazzaville grâce à Naudy.

Le militantisme.

« Le socialisme à visage humain », Albert Bernard Bongo le rencontre en la personne de Naudy qui va tour à tour l’initier à la franc-maçonnerie et à la politique : « Cet homme admirable [était] un français originaire de Fontainebleau. Il était inspecteur général des PTT, socialiste et franc-maçon. C’est lui qui m’a pris en charge et qui m’a formé politiquement. Ce militant vivait son socialisme et sa franc-maçonnerie comme d’autres leur religion. Il était habité. Celui qui m’a initié à la franc-maçonnerie, en même temps qu’il me faisait partager ses grandes idées générales sur la condition de l’homme et de la société. Sans doute avais-je le feu sacré, mais c’est incontestablement cet homme qui a su souffler la braise. Mon ami Naudy ne m’a pas seulement initié à la franc-maçonnerie, celui qui m’a fait entrer aux Jeunesse socialiste, c’est-à-dire à la SFIO».

Le contexte politique et sociologique de cette époque est fortement marqué par des mouvements satellites locaux des trois grands partis métropolitains :

- le Parti progressiste congolais (P.P.C) que Jean-Félix Tchicaya fonde en 1946 au lendemain son élection comme député à l’assemblée constituante parisienne. Apparenté au Parti communiste français (P.C.F),  le P.P.C est une section locale du Rassemblement démocratique africain (R.D.A).

- le Mouvement socialiste Africain (M.S.A) de Jacques Opangault, affilié à la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO).

- l’Union démocratique pour la défense des intérêts africains (UDDIA) de Fulbert Youlou qui se voulait un parti libéral.

 « Dans ce panorama politique, le jeune Bongo se situe plutôt au centre gauche ou même à gauche de l’échiquier politique, puisqu’il [est] membre de la CGT FO et adhérant  au MSA. C’est par ce biais que ses liens avec la SFIO métropolitaine seront noués très étroitement. ». Adhérent de la Confédération générale africaines des travailleurs (GCAT), « les rapports étroits entre le CGAT et le Parti communiste français ne préjugeaient pas pour autant des orientations politiques d’Albert Bernard Bongo. Ce n’était en fait qu’une tactique pour en finir avec le colonialisme ».

A la grande poste de Brazzaville où il est en poste dans le service des transmissions, le jeune Bongo passe pour être un agent des services secrets français. Il le démentira plus tard : « Mais c’est de la folie ! Nous n’étions pas encore indépendants et je n’avais que vingt ans : qu’est-ce que les services secrets auraient fait de quelqu’un comme moi ?... Jamais ils n’auraient voulu d’un élément aussi subversif et incontrôlable que moi. C’était trop sérieux pour eux ! ». Bien que cette période reste un pan obscur de l’histoire du jeune homme, Bongo est tout de même arrêté. Il est accusé de divulguer des informations couvertes par le secret professionnel. Il s’en explique en ces termes : « J’étais au service des télécommunications, dans un bureau qu’on appelle e BCR, où on travaillait sur les transmissions. Je voyais passer des télégrammes de toute nature. Je tombe un jour sur une dépêche transmise par un général français qui venait du gouverneur des colonies et qui était adressée aux chefs des circonscriptions administratives. Son contenu était clair : elle indiquait, que chaque élection, quel devait être le gagnant, l’heureux élu ! Au Gabon, la France avait choisi Jean-Hilaire Aubame. Jolie démocratie formelle ! Bel exemple pour les jeunes Africains que nous étions (…) J’étais révolté par un tel comportement, autant vis-à-vis des Français qui trichaient que des Gabonais soi-disant élus et qui acceptaient cette tricherie (…) J’ai raconté à tout Brazzaville les magouilles de la coloniale qui avait déjà choisi les élus… Mes révélations ont fait un barouf du diable ».

C’est à l’issue de ce scandale que Naudy devient directeur général de la poste. Une opération rondement menée pour faire tomber le directeur de la poste de Brazzaville peu malléable ? On se passe de commentaires. La vérité saute aux yeux.

Libéré, le jeune Bongo choisit de s’enrôler dans l’armée avec sa réputation de jeune homme subversif et un relent d’agent des services secrets français. Certainement avec l’adoubement de Naudy même si Bongo réfute l’influence de Naudy dans son choix. « Au début, j’étais complément perdu : je ne savais pas qui saluer ni comment. Dans le doute, je faisais semblant d’attacher mes lacets ! Mais finalement je me suis bien intégré dans cette institution qui respecte les hiérarchies, où l’on apprend à être commandé avant de commander. Je peux même dire que c’est grâce à l’armée, au sens des responsabilités que l’on y acquiert, que j’ai pu ensuite faire la carrière qui m’a conduit là où je suis ». Après ses études militaires à la base aérienne de Brazzaville, le jeune Bongo est affecté à Bangui puis à Fort-Lamy (actuel Ndjaména) au Tchad avant de revenir à Brazzaville.

 Zacharie Myboto rencontrera lui aussi un homme qui donne un coup de barre à son destin : Monsieur J.J. Adam. Zacharie Myboto naît en 1938 à Boumogni, « un bourg très étendu, peuplé de plusieurs centaines de familles, établi non loin de la Leyou, affluent de l’Ogooué ». C’est à la suite d’une erreur administrative d’un commis de l’administration française que le village Boumogni prendra le nom de « Omoï ».

Ses parents, des fervents catholiques qui n’ont pas été à l’école, auront huit enfants dont cinq mourront. Aîné des survivants, Zacharie Myboto reçoit de ses géniteurs « cette morale chrétienne fondée sur le savoir plutôt que le droit, le sens des responsabilités plutôt que l’indifférence, le goût pour le travail que le laisser-aller, l’excellence plutôt que la médiocrité »[13].

Le jeune Myboto aurait pu passer toute sa vie à Boumogni « sans avoir la chance de découvrir le monde et la civilisation, si les Français venus exploiter les gisements d’or de la région n’avaient remarqué [son] père et, par contrecoup, changé le cours de [son] existence »[14].

En effet, le père du jeune Myboto qui s’appelle Pierre Toundjoka-Maka est collecteur d’or. Myboto dépeint le travail qu’exerçait son père à cette époque en ces termes : « Jour après jour, mon père faisait (…) la tournée des équipes installées au bord des rivières aurifères et se faisait remettre les pépites d’or. A la suite de quoi, il confiait le produit de sa collecte au chef de chantier blanc »[15]. Ce travail, le père du jeune Myboto va l’exercer durant près de dix ans sur les chantiers de Youbounguiya et de Ndoubi « à l’époque, les deux pôles économiques du Haut-Ogooué et de l’Ogooué-Lolo ». Quand ces deux chantiers fermeront plus tard, il se reconvertira dans la maçonnerie.

En 1948, Pierre Toundjoka-Maka décide d’envoyer son fils à l’école. Le jeune Myboto a dix ans. Comme Omoï n’a pas d’école, il envisage de l’inscrire s à l’école de la Mission Sainte Hilaire de Franceville afin de lui assurer un avenir meilleur et raffermir sa foi religieuse. Mais cette idée ne trouve pas l’assentiment des grands-parents du jeune garçon. Ils mesurent les dangers d’un tel voyage car « la mission [Saint Hilaire], située au bord de la Passa, un affluent de l’Ogooué, présentait des risques de noyade »[16].

Mais si Pierre Toundjoka-Maka renonce à envoyer son fils à Franceville à l’école de la mission Sainte Hilaire, il ne renonce guère à lui donner une instruction. Déjà, il accepte que Félix Bouyi, gérant de l’économat du chantier aurifère de Ndoubi apprenne à son fils à lire, écrire et compter.

Aussi lorsque Félix Bouyi est choisi pour aller ouvrir un nouveau magasin à Lastourville, il profite de cette occasion pour envoyer son fils à l’école. C’est sur sa demande que Félix Bouyi accepte d’emmener le jeune Myboto à Lastourville et de l’inscrire à l’école catholique de la mission Saint Pierre Claver.

Si le jeune Myboto est heureux de fréquenter une école, il est aussi angoissé à l’idée de quitter ses parents : « (…) la perspective d’aller à l’école était à la fois grisante et effrayante. Pour la première fois, j’allais être séparé des miens, plongé dans un milieu inconnu, loin de mes camarades de mon village, de tout ce qui avait constitué ma vie jusqu’alors. J’allais quitter cette existence insouciante, faite de jeux et de bonheurs enfantins pour obéir à des règles et à une discipline. D’un autre côté, la perspective d’apprendre me consolait. Je sentais qu’un monde nouveau allait s’ouvrir à moi. J’avais envie de lire, d’écrire, de compter, j’avais envie de savoir »[17].

Et devant les états d’âme de son rejeton, Pierre Toundjoka-Maka n’aura qu’un mot d’ordre : « Ou c’est l’école, ou ce n’est rien. Je veux que tu étudies pour ne pas être comme moi plus tard. Tu dois apprendre, mon fils, et réussir. Ce sera dur, je le sais, mais je t’interdis de t’échapper pour revenir ici, au village »[18].

Près d’un quart de siècle après, Pierre Toundjoka-Maka peut être fier de son fils qui partit de son village natal s’est retrouvé pendant plus de 20 dans les sphères du pouvoir.

C’est avec la bénédiction et conscient de toutes les attentes de son père que le jeune Myboto quitte son village natal non sans nostalgie. Le voyage se fait à pied car à cette époque il n’existe pas encore des transports en commun et les routes sont des véritables planchers de vaches. Près de cinquante ans plus tard, Myboto raconte son odyssée : « Nous avons marché pendant trois jours. Les porteurs qui accompagnaient M.Bouyi entonnaient parfois des chants que nous reprenions en chœur pour nous donner du courage. Le soir, après une journée harassante, notre petite cohorte s’arrêtait dans un village et y passait la nuit. Le lendemain, dès l’aube, nous repartions pour une nouvelle étape entrecoupée d’un déjeuner frugal et de quelques pauses »[19].

Mais si l’arrivée à Lastourville après trois jours de marche est une délivrance pour le jeune Myboto, il tire une leçon de ce long voyage pénible pour un enfant de dix ans : « Ce périple fut un dépaysement total, une aventure qui m’apprit que l’on pouvait se dépasser soi-même pour peu que l’on en ait la volonté et que l’on soit entraîné par une équipe solidaire (…) on n’avance qu’avec le soutien des autres, on ne gagne qu’en équipe »[20]. Le futur politique perce déjà sous ces mots !

Mais à la délivrance succédera la pénitence car le jeune Myboto arrive à s’intégrer à son nouvel environnement : « Les premiers jours d’école furent pénibles. Me plier aux rigueurs de la discipline, suivre sans broncher des leçons qui me paraissaient interminables, apprendre, recommencer encore et encore, tout cela constituait une rupture totale avec ma vie antérieure et réclamait beaucoup d’efforts. Plus d’une fois, découragé, j’ai été au bord du renoncement »[21]. Mais se rappelant sans cesse les propos de son père « C’est l’école ou ce n’est rien », le jeune Myboto s’adapte à sa nouvelle condition contrairement à un bon nombre de ses camarades qui « incapables de s’adapter à ce nouvel univers » regagneront leurs villages.

En 1951, le jeune Myboto a 13 ans et est en classe de CM1. Il figure parmi les meilleurs élèves de son école. La visite de Monseigneur J.J. Adam cette année à la mission Saint Pierre Claver va marquer un tournant dans sa vie. Il trouvera en cet homme son « Naudy ».

En tournée d’inspection des missions catholiques sous sa juridiction, Monseigneur J.J.Adam « repérait les meilleurs élèves pour les attirer vers le sacerdoce ». Et le jeune Myboto est vite remarqué par J.J.Adam qui lui accorde un entretien : « Je connais bien tes parents, dira-t-il au garçon. C’est moi qui les ai mariés. Et toi, je t’ai baptisé. Comme tu es bon élève, j’ai décidé de t’emmener au petit séminaire. Tu y poursuivras tes études et, plus tard, tu seras prêtre »[22].

Si Myboto est enthousiasmé, il est encore assez jeune pour savoir ce qu’il veut faire plus tard : « Pour l’enfant que j’étais, ce qu’il [Mgr J.J. Adam] disait était parole d’évangile et il n’était pas question de m’y opposer. Aurais-je eu le choix d’ailleurs, que je ne l’aurais pas fait : j’étais fier d’avoir été remarqué par lui et devenir prêtre me convenait assez bien. Je me demandais seulement quelle serait la réaction de mes parents. Connaissant leur foi, j’imaginais qu’ils seraient heureux de me voir destiné à la prêtrise par celui-là même qui les avait unis devant Dieu »[23].

Le garçon ne se trompe pas sur l’éventuelle décision que prendraient ses parents. Ils confient à Monseigneur J.J. Adam leur fils « qui les a convaincus facilement du bien-fondé de sa décision ».

Pour rejoindre le Petit séminaire de Libreville, le jeune Myboto mettra deux mois : « Deux mois épiques pendant lesquels nous avons traversé le Gabon de part en part, du Sud-Est au Nord-Ouest ». Si ce long voyage est un périple lassant, il est pour le jeune garçon une grande aventure. A son arrivée à Libreville, Myboto est fasciné par l’architecture et les infrastructures coloniales de la future capitale gabonaise Mieux encore. Il est subjugué par la mer. Et il la décrit avec des accents poétiques : « Je l’ai découverte, émerveillé, agiter par le vent, grise et infinie comme le ciel qui se fondait en elle au bout de l’horizon, bruyante, vaguement menaçante. J’étais un enfant de la terre, un fils de la forêt et le monde marin m’était étranger. Il le restera d’ailleurs sans que j’éprouve jamais cet appel du grand large, ce désir de m’embarquer pour aller voir de l’autre côté et partir à l’aventure »[24].

Au petit séminaire Saint-Jean de la mission Sainte-Marie, le jeune Myboto ne nourrit aucun complexe face à ses camarades citadins. Il poursuit brillamment ses études et fait la fierté de ses parents et de son parrain. En 1952, il passe avec succès son certificat d’études, la même année qu’Albert Bernard Bongo obtient le sien à Brazzaville. Et c’est au lendemain de l’obtention du « premier diplôme de la vie d’un élève » que Myboto commence à afficher ses ambitions professionnelles. La carrière ecclésiastique ne semble guère l’attirer. Il s’en explique : « Je n’étais pas, à l’évidence, destiné au sacerdoce. Sans doute aurais-je aimé servir Dieu en lui consacrant ma vie et en revêtant la soutane. Mais je sentais qu’il y avait d’autres manières de le célébrer, plus profanes, mais tout aussi utiles. Avoir un métier, fonder une famille chrétienne, accomplir son travail, c’était aussi une façon de contribuer à faire la volonté de Dieu »[25].

En 1953, Myboto quitte le Petit séminaire Saint-Jean de la mission Sainte-Marie pour aller poursuivre ses études au collège Bessieux, une école d’enseignement secondaire catholique réputée pour sa rigueur. Un bon nombre des personnalités qui forment la nomenklatura gabonaise actuelle en est issu. Myboto en témoigne : « Elle était fondée sur une sélection impitoyable qui, par des renvois à la fin de chaque trimestre, éliminait les plus faibles et poussait les moyens à se dépasser. Le même sort était réservé à ceux dont le comportement était jugé immoral. Aucun passe-droit, aucune intervention extérieure ne pouvait faire fléchir les prêtres qui dirigeaient l’établissement »[26].

Si l’entrée au collège Bessieux est sélective, l’enseignement est rugueux : « (…) l’enseignement était dominé par ce qu’on appelait alors les « humanités ». On ne pouvait trouver meilleur mot pour définir un ensemble de disciplines – français, latin, langues vivantes, histoire, mathématiques, etc. – qui, au final, nous apprenaient l’Homme (…) en tant qu’être social et citoyen d’une nation »[27]. Si Myboto juge certaines punitions démesurées ou injustes, il reconnaître plus tard qu’elles ont forgé son caractère et sa personnalité.

« La formation humaniste » donnée à Bessieux ébauche peu à peu les ambitions professionnelles du jeune collégien. Son intérêt marqué pour les lettres et l’histoire antique au travers de ses lectures de Platon, Cicéron plutôt que des mathématiques qui lui paraissent sans charme, dessine peu à peu le patron du métier qu’il veut exercer plus tard : « Au fil des mois, j’avais senti naître en moi un début de vocation pour le métier d’instituteur. Il me paraissait noble et je me voyais très bien y passer une partie de ma vie. Devenir instituteur était pour moi un choix volontaire et judicieux. L’enseignement correspondait à mon caractère : j’aimais aller vers les autres, surtout les jeunes, j’avais envie de leur transmettre ce que l’on m’avait appris, d’éduquer les enfants de notre pays afin qu’ils soient outillés pour affronter la vie et construire notre nation. Je me sentais une âme de pédagogue et je savais par avance que je serais tel qu’on m’avait fait : patient mais exigeant, rigoureux mais juste »[28].

Outre l’enseignement, Zacharie Myboto est aussi attiré par la magistrature plus par goût de justice et d’équité. Mais ce choix, il le garde comme une deuxième option.

 Dans l’armée française, c’est dans les renseignements que le jeune Bongo décide de faire carrière. Il s’en explique : « Pendants le déroulement de mes OR, il y avait une partie polytechnique pour définir mes aptitudes. A l’issue des tests, j’avais le choix entre le secrétariat, le pilotage et… le renseignement… Aussi me suis-je retrouvé au renseignement. »

Et au sein des services de renseignements, Albert-Bernard Bongo trouve assez vite ses marques et va s’illustrer à partir de 1958. « Officier français, Bongo était placé à un poste privilégié d’observation. Il eut à suivre l’évolution de son pays et celle de la sous-région dans une sorte d’action souterraine».[29]

Il va contribuer à déjouer les velléités de Fulbert Youlou sur le Haut-Ogooué qui avait été restitué au Gabon en 1947 : « Il envoyait de l’argent et des armes pour que les gens du Haut-Ogooué se soulèvent et revendiquent la nationalité congolaise. Moi, dans l’armée française, au deuxième bureau, j’étais à l’époque un peu espion. Or ces tentations de déstabilisation menées par Fulbert Youlou agaçaient la France. La mission qui m’a été assignée était de prévenir le gouvernement gabonais des intentions des Congolais. A partir de 1958 et 1959, je faisais des allers-retours permanents entre Brazzaville et Libreville ».

En bon espion, le jeune Bongo va infiltrer le camp ennemi : « J’avais discuté avec des amis qui était proches de Fulbert Youlou. Peu à peu, je me suis moi-même introduit dans son entourage. J’allais chez lui, je déjeunais avec lui, je l’avais mis en confiance. Je faisais semblant d’être de son côté. Il pensait pouvoir compter pour moi et me mettait dans la confidence. Il me disait : voilà ce qu’on va faire du Haut-Ogooué ! J’écoutais. Et je venais au palais pour répéter ce que l’autre m’avait dit. Le moment venu, les gendarmes étaient sur place et ceux qui préparaient une sécession ont été arrêtés. C’est pour ça que toutes les tentatives de Fulbert Youlou pour remettre la main sur le Haut-Ogooué ont échoué »

Et c’est pendant l’une de ses nombreuses missions entre 1958 et 1959 entre Libreville et Brazzaville en tant qu’espion que Bongo fait la rencontre de Léon Mba. Le jeune Albert Bernard Bongo est loin d’imaginer que ces brèves rencontres vont sceller son destin plus tard. Pourtant leur première rencontre comme l’explique Omar Bongo dans son livre part du mauvais pied : « Je l’ai connu avant, dans des circonstances un peu particulières. J’étais encore étudiant, en vacances, à Franceville. Il était alors Maire de Libreville et était venu là-bas en tant que dirigeant de son parti. Il a fait un discours. Alors mes camarades m’ont poussé à lui répondre. Je me suis lancé. Je lui ai demandé au nom de qui il parlait puisqu’il n’était pas du Haut-Ogooué et que ses histoire de la mairie de Libreville ne nous concernait pas (…) Alors on m’a encore arrêté, comme agitateur. Ma réputation dans le Haut-Ogooué, elle est tissée de ces histoires de prison. Chaque fois que je faisais le malin, on m’arrêtait »

 Les navettes du jeune espion entre Libreville et Brazzaville finiront par lui faire gagner une solide amitié avec Léon Mba : « Un jour Léon Mba est venu à Brazzaville. Un de mes oncles a organisé un rendez-vous. Nous avons été à l’hôtel où il séjournait et nous nous sommes mis à discuter du fond des choses, du Gabon, de la France, de la politique, de l’avenir. Et c’est comme ça qu’on a sympathisé. Et c’est à partir de cette discussion qu’il m’a demandé de le rejoindre après mon service militaire, alors que notre pays avait accédé à l’indépendance ».

 A la même époque, pendant qu’Albert Bernard Bongo joue les espions sur les rives du fleuve Congo, Zacharie Myboto vient d’obtenir avec succès son certificat élémentaire d’aptitude pédagogique après un an de formation au collège normal de Mitzic qui forme des instituteurs. C’est en octobre 1958 qu’il reçoit sa première affectation. C’est sera l’école primaire régionale de Franceville, dans sa région natale. Jeune instituteur de 20 ans, Zacharie Myboto est angoissé par sa première rentrée scolaire bien qu’il a la ferme conviction qu’il est fait pour ce métier : « Le jour de la rentrée scolaire a été la confirmation de ce que je pressentais : face à cette quarantaine d’enfants au CM1 aux regards admiratifs, presque aussi intimidés que moi et qui se tenaient sagement assis devant leur table-banc, j’ai su que j’avais fait le bon choix (…). Ma hantise était d’échouer et de les dégoûter de l’école à tout jamais »[30].

Les jours qui suivront, Myboto s’adaptera en trouvant l’autorité suffisante à son métier d’éducateur dont il conçoit aisément la délicate mission. L’expérience durera deux ans : « Deux ans d’enthousiasme pour ce métier très prenant, peut-être le plus beau de tous, qui consiste à transmettre les règles de la vie en société, les instruments de la connaissance et, à travers eux, à s’ouvrir sur le monde. Former de jeunes esprits, assister à l’éclosion des premiers savoirs, voir les regards s’allumer de curiosité a constitué l’un de mes premiers bonheurs »[31].

Si à cette époque, on ne note aucune conscience politique chez Myboto contrairement à Bongo qui s’est engagé dans les jeunesses socialistes de la SFIO, Myboto suit attentivement l’évolution du territoire du Gabon au gré des mutations coloniales.

En effet, la Conférence de Brazzaville de 1944 réunissant les représentants des colonies français d’Afrique avait jeté les bases de l’Union française de 1946, créée par la Constitution d’octobre de la même année. Dans cette organisation, le Gabon, comme un bon nombre d’autres colonies, devient un territoire d’outre-mer. A ce titre, il doit constituer un Conseil représentatif composé de conseillers territoriaux élus au suffrage universel. Ce conseil va disposer d’un avis consultatif sur les questions économiques, sociales et culturelles du territoire. En outre, le Gabon va élire un député qui siégera à l’Assemblée nationale, un sénateur au Conseil de la République et un conseiller à l’Assemblée de l’Union française. Au niveau fédéral, le Gabon va déléguer un représentant au Grand Conseil de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F).

L’élection de Jean-Hilaire Aubame comme premier gabonais à siéger au Palais-Bourbon (Assemblée nationale française) va « imposer les élections comme le seul lieu autorité du politique, et plus spécifiquement des luttes pour le pouvoir public »[32].

Le fonctionnement des institutions de l’Union française va favoriser la création des formations politiques telles que l’Union démocratique et sociale gabonaise de Jean-Hilaire Aubame, le Comité mixte gabonais (C.M.G) de Léon Mba. A l’aube de l’indépendance, d’autres formations politiques naîtront.

La loi dite « Loi-Cadre Defferre » de 1956 va consolider l’autonomie du territoire du Gabon. En renforçant les pouvoirs du Conseil représentatif qui devient Assemblée territorial, cette loi opère une décentralisation politique en créant le Conseil de gouvernement dont Léon Mba prendra la tête au lendemain d’un imbroglio politique.

Trois ans plus tard, les événements d’Algérie qui ramènent le général de Gaulle au pouvoir vont insuffler une nouvelle dynamique dans les rapports entre la France et ses territoires d’Afrique. De Gaulle propose un référendum qui « prévoit tout d’abord deux possibilités pour les territoires de l’Union française : ou ils décident d’adhérer à la Communauté ou ils refusent et acquièrent immédiatement leur indépendance ».

C’est donc à l’occasion de ce référendum que Myboto exercera son droit de vote, à défaut d’une idéologie politique clairement affichée : « Répondre « oui » signifiait que le territoire deviendrait un Etat associé de la Communauté française. Comme la plupart de mes compatriotes, ma réponse ne faisait aucun doute. Nous savions ce que nous devions à la France mais il était temps, grand temps, de nous en affranchir et de voler de nos propres ailes. Les échos lointains des événements d’Algérie ne pouvaient que nous encourager à couper pacifiquement le cordon ombilical qui nous reliait encore à la métropole »[33].

Les craintes de Myboto ne sont pas vaines. L’histoire lui donnera entièrement raison. La Guinée tombera en disgrâce au lendemain de son « Non » à ce référendum.

Si Myboto se dépeint à cette époque comme un indépendantiste, il l’est modérément car il ne cède pas au charme du Punga, parti de Jean-Jacques Boucavel et de René-Paul Soussatte, qui prône le « Non » au référendum et réclame une indépendance immédiate « assortie des négociations particulières avec la métropole ».

La victoire du « Oui » avec 92,6 % des suffrages exprimés, Myboto la considère comme la sienne : « Voter à ce référendum qui décidait de l’avenir du pays fut un geste politique très patriotique (…). Il fut une prise de conscience (…). Comme bon nombre de mes compatriotes, j’ai voté dans l’enthousiasme, conscient que mon vote, parmi des dizaines de milliers d’autres, était un passeport pour l’avenir et la citoyenneté ».[34]

Son « passeport pour l’avenir et la citoyenneté », Zacharie Myboto l’obtient deux ans plus tard. En effet, en dépit de la volonté de toute la classe politique qui fait tout pour retarder l’indépendance du Gabon au profit de la départementalisation, le Gabon accède au forceps à la souveraineté internationale le 17 août 1960 au lendemain de la signature des accords de Paris par Léon Mba, premier ministre et Paul Gondjout, président de l’Assemblée législative. Léon Mba devient le premier président de la République du jeune Etat.

Zacharie Myboto vivra cet événement à Franceville où il est affecté depuis octobre 1958 : « (…) comme dans tout le pays, la fête fut belle, pleine d’émotion et de fierté. Ce premier grand événement d’unité nationale reste un de mes souvenirs les plus marquants. Nous avions enfin une identité propre. Un nom à nous. Nous existions. Nous étions devenus un pays, un Etat, un peuple et le monde nous reconnaissait désormais comme tel ».[35]

Mais à peine l’émotion passée, Zacharie Myboto prend conscience de ce que signifie être indépendant : « (…) nous étions responsables de nous-mêmes mais aussi responsables collectivement : chaque Gabonais, en ville comme en zone rurale, au bureau comme au champ, devait donner le meilleur de lui-même. Il n’y avait plus personne au-dessus de nous, plus d’administration coloniale ou parisienne, plus de chefs lointains sur qui nous reposer ou nous décharger de nos erreurs. L’indépendance nous créait des droits, elle nous imposait surtout des devoirs. Nous avions l’obligation de réussir et sans nous leurrer : prendre en main notre destin exigeait de prendre aussi nos responsabilités».[36]

Ces responsabilités et cette prise de conscience vont être à l’origine de l’engagement politique du jeune instituteur. Mais il faudra attendre 1964 pour que Zacharie Myboto traduise en acte son engagement politique. Car pour l’heure, il a sa carrière d’instituteur à accomplir. En 1961, il est affecté par l’administration à l’école d’Okondja, toujours dans le Haut-Ogooué, comme directeur : « Outre mes fonctions d’instituteur, je devais diriger l’école sur le plan pédagogique comme sur le plan administratif, être le lien entre l’Académie et les enseignants, gérer les problèmes quotidiens et veiller aux bons résultats des élèves ».[37]

 La même année que Zacharie Myboto est affecté à l’école d’Okondja, Albert-Bernard Bongo vient d’être démobilisé. Il a donc rejoint Libreville avec sa famille et a trouvé un poste à la fonction publique. Il est affecté comme simple fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères. Et c’est au cours d’une réception organisée au palais de la République cette même année qu’il rencontre pour la première Léon Mba depuis son retour au Gabon : « Quand il [Léon Mba], m’a vu, explique Bongo, il m’a simplement dit : « Tu es là ! ». Il a aussitôt dit à son ancien chef de protocole, devenu ….

Quelques jours plus tard, Bongo est reçu par le président Léon Mba en présence de Victor Ngouoni, Marcel Sandoungout, Augustin Embinga, tous trois des politiques originaires du Haut-Ogooué. En préludes aux élections législatives de février 1961, Léon Mba propose à Albert Bernard de devenir député. Si les autres acceptent cette proposition, Bongo, lui, refuse subtilement. Et pour cause : « (…) à  l’époque les députés étaient désignés par le pouvoir et n’en avaient aucun. On inscrivait votre nom sur une liste, c’est tout. Mais il y avait une condition préalable, obligatoire : vous deviez signer des lettres de reconnaissance de dette, ainsi que votre démission en blanc ! J’ai trouvé ça pittoresque. (…) J’ai trouvé comme excuse que je t’étais trop jeune. Que j’avais quitté ma province depuis trop longtemps. Et que n’y connaissant plus de monde, je ferais un mauvais député ».

En réalité, si Bongo refuse de devenir député, c’est parce qu’il nourrit de grandes ambitions. Il avait longtemps goûté au plaisir du pouvoir pour se contenter d’un poste bidon. Toutefois, en refusant d’être député, Bongo propose à sa place un de ses cousins, Philibert Bongo. Il bat campagne dans le Haut-Ogooué pour ce dernier et Marcel Sandoungou.

Le caractère trempé de Bongo que Léon Mba avait connu bien avant l’indépendance dans des circonstances particulières ne va guère le laisser indifférent. C’est ainsi qu’au lendemain des législatives que le BDG remporte largement, le président Léon Mba propose à Bongo un autre poste. Bongo explique : « Léon Mba m’a appelé et m’a demandé si je voulais prendre le poste de directeur des services à la présidence ou bien devenir son directeur adjoint de cabinet, le poste de directeur étant occupé par un français, Jean Gazagne. Il m’a fait miroiter que si je travaillais bien et si un jour Jean Gazagne partait, je pourrais peut-être prendre sa place ».

La version officieuse voudrait que ce soit Bongo qui aurait fait cette proposition à Léon Mba en ces termes : « Je serais très honoré, Monsieur le président, de travailler à nouveau pour vous ».

Peu importe. Cette fois, Bongo n’évoque guère sa jeunesse ni son peu de connaissance du personnel de l’administration gabonaise ou du sérail politique, bien au contraire, il accepte la proposition du président Léon Mba. Il est conscient que le poste qu’il vient d’accepter est à la mesure de ses ambitions et va le hisser au cœur même de l’antichambre du pouvoir, car c’est là que se prennent les décisions.

Ce Jean Gazagne, directeur de cabinet présidentiel était selon Grégoire Biyogo[38] un proche de Foccart – ce personnage mystérieux qui patronnait les services secrets des pays africains, conseiller politique influent sous de Gaulle et sous Pompidou – qui avait été mis à côté de du président Léon Mba pour le contrôler, le surveiller et pour rendre compte de chacun de ses faits et gestes au général de Gaulle.

Mais si Jean Gazagne ne s’oppose guère ouvertement à la nomination d’Albert-Bernard Bongo comme son adjoint, il va mettre les bâtons dans les roues du jeune démobilisé. « L’atmosphère [au cabinet présidentiel] était viciée par des habitudes coloniales encore vivaces. L’existence des clans opposés, recrutant leurs membres aussi bien parmi les Européens que parmi les Africains, la méfiance à peine voilée, avaient fini par créer autour du jeune fonctionnaire une ambiance réservée, faite de morosité et d’hostilité »[39]. Et Bongo ne se laisse guère marcher sur les lattes : « (…) il [Jean Gazagne] ne voulait rien me donner faire. Ne me confiait aucune responsabilité, m’évitait, tirait systématiquement la couverture à lui seul. C’était insupportable. Peu à peu, je me suis dit qu’il fallait que je provoque un incident pour faire bouger les choses ».

Il suffira d’un tutoiement de Jean Gazagne à l’endroit de son adjoint pour que celui-ci fasse un esclandre auprès du président Léon Mba. Décidément Bongo a le talent et le culot d’acier de contester les attitudes qu’il trouve injuste. N’oublions pas que toute sa vie a été marquée par le sceau de la révolte contre toute autorité arbitraire. Au lendemain de cet incident, Albert-Bernard Bongo gagne ses galons au sein du cabinet présidentiel. Il commence peu à peu à supplanter son chef hiérarchique et fait du cabinet président un institut de formation politique. Albert-Bernard Bongo démontre à nouveau sa capacité à assimiler les règles d’un milieu qui lui est dès le départ étranger et hostile. Il se moule dans l’antichambre du pouvoir comme une panthère dans les fourrés. « (…) le jeune Bongo avait fini par convaincre les plus sceptiques, et surtout parmi les assistants techniques français, de son efficacité et de son sérieux. Le premier au bureau, le dernier à le quitter, il coordonnait déjà, avec un sens inné du commandement et de l’ordre, toute l’action gouvernementale »[40]. Aussi au départ de Jean Gazagne en octobre 1962, c’est sans peine que Albert-Bernard Bongo assume ses pleines fonctions de directeur de cabinent du président Léon Mba. Cette fois, Bongo ne dépend plus d’un chef hiérarchique, il rend directement compte de ses actions et de ses missions au chef de l’Etat. Il le confirme lui-même : « J’occupais un poste stratégique puisque je n’avais même pas de directeur adjoint de cabinet à mes côtés. Mon poids était considérable. Je jouais sur tous les tableaux ».

Et très vite, Bongo marque son territoire comme un véritable pit-bull – Et du chien, il n’en manque pas : « Le nouveau directeur de cabinet exige d’être le seul à présenter le courrier à la signature du président Mba [sous prétexte de] protéger les heures de réflexion et de travail du président de la République ».

Voici l’ancien espion bien en selle.

L’ardeur au travail de Bongo, sa disponibilité, sa connaissance des dossiers, sa capacité à débrouiller les affaires, son goût vérifié pour l’efficacité, sa discrétion spectrale, son énergie débordante et contagieuse ont très vite fait de charmer Léon Mba qui en fait dans l’ombre son confident, son collaborateur, son conseiller le plus proche. La charge de l’Information et du Tourisme que Léon Mba adjoint à son poste de directeur de cabinet présidentiel n’en témoigne pas mois à une époque où Léon Mba, enivré par une dérive autocratique, a du mal à tenir en laisse ses alliés politiques.

Doté d’une intelligence sans égale, il n’est guère étonnant de voir que Bongo triomphera plus tard parmi les jeunes gens de sa génération car les véritables hommes politiques portent les stigmates de la combativité sur le front comme une marque indélébile.

Mais la fable n’offre qu’une pâle copie de la réalité. Bongo n’affection guère la politique comme elle se fait à cette époque avec ses compromissions et ses connivences. Cela tient certainement à son inclinaison d’anticonformiste qu’il traîne comme un fil à la patte. S’il adore le pouvoir, ce n’est guère avec ses fastes, privilèges et rillettes. Il aime les coulisses, les couloirs d’antichambre. Il a le goût des manœuvres en clair-obscur et le secret des allées lambrissées du pouvoir. Son passé d’espion dans l’armée française n’en est pas étranger. On se rappelle qu’il avait subtilement refusé de devenir député en 1961 au lendemain de son retour au Gabon et qu’il n’avait pas hésité d’accepter le poste de directeur de cabinet qui lui a proposé Léon Mba en 1962.

Une telle brillance dans un état-major politique fait nécessairement des jaloux. En témoigne cette altercation entre Bongo et Jean-Hilaire Aubame, leader de l’U.D.S.G qui vient d’être limogé de son poste de ministre des Affaires étrangères qu’il occupait dans le gouvernement d’union nationale né au lendemain des législatives de 1961 : « (…) un jour que les deux hommes se rencontrent par hasard (…), Jean-Hilaire Aubame annonce-t-il de but en blanc à Albert-Bernard Bongo : « J’ai rappelé à Léon Mba que le pouvoir du Gabon ne pouvait revenir qu’à un Fang et nous étions cinq Fang susceptibles de l’occuper : vous les connaisses, ce sont Léon Mba, moi-même, Jean-françois Ondo, François Meyé et Jean-Marc Ekoh. Ce à quoi Albert Bernard Bongo répond tout d’abord que le pouvoir n’est pas vacant mais que le jour où il le deviendra, il y aurait probablement un sixième candidat : « Pas un Fang, mais un Gabonais, tout simplement, et ce Gabonais-là, c’est Bongo ! »

Conscient de toutes les velléités que suscite son ascension dans la sphère présidentielle, Bongo va constituer avec quelques-uns de ses affidés, Paul Tomo, directeur de cabinet civil du chef de l’Etat, René Radembinot-Coniquet, chargé des questions administratives et le général Germain Teale, aide de camp du président Léon, un « cabinet noir » qui fait et défait les trajectoires politiques et les carrières administratives. Bongo, homme de l’ombre et faiseur de roi !

Par le biais du remaniement ministériel du 20 février 1963 qui défait l’Union nationale, Léon Mba adjoint à son directeur de cabinet la charge de l’Information et du Tourisme, une charge clé au sein du pouvoir en place.

 

Si l’année 1963 consacre l’ascension de Bongo dans le giron présidentiel, elle marque les premiers pas de Zacharie Myboto en politique. Après un an comme directeur de l’école d’Okonja, Zacharie Myboto est affecté à Moanda, toujours dans sa province natale : « Ville minière, Moanda vivait déjà exclusivement du manganèse et se développait à un rythme rapide, devenant de ce fait le poumon économique et le centre commercial du Haut-Ogooué et de l’Ogooué-Lolo. L’école, qui accueillait en grand nombre les enfants des mineurs et des employés de Comilog, était évidemment un établissement très important. Les responsabilités y étaient denses et ma qualité de directeur d’école faisait de moi un « notable » que l’on venait consulter sur des sujets parfois fort éloignés des problèmes scolaires ».[41]

Aiguillonné par les valeurs de justice que lui ont inculquées son éducation chrétienne, Zacharie Myboto demeure sensible aux conditions de vie des mineurs de Moanda dont il est directeur de l’école doublé d’une cornette de « notable ».

Si l’indépendance du Gabon intervenue trois ans plus tôt avait suscité une conscience politique en lui, son inclinaison politique tendait « vers les idées sociales et démocratiques de l’U.D.S.G que du B.D.G » de Léon Mba et de Paul Gondjout, vainqueur des législatives du 12 février 1962. Mais Zacharie Myboto hésite de passer de sympathisant au statut de militant de la formation politique de Jean-Hilaire Aubame.

C’est finalement le député du Haut-Ogooué, Robert Landji, étiqueté BDG qui va lui mettre le pied à l’étrier dans le sens contraire du vent : « Un soir, en 1963, au  cours d’une discussion sur l’avenir du pays, explique-t-il, il m’a demandé de prendre la tête de la cellule locale du B.D.G. Ma réaction fut plutôt mitigée. J’avais envie de m’engager dans l’action politique mais pas sous la bannière du B.D.G. Rigobert Landji insista et je finis par accepter sans conviction aucune. Je le lui fis savoir. D’ailleurs, je ne déployai aucune activité débordante, me bornant simplement à organiser quelques rares réunions politiques n’y était pas cœur ».[42]

Si le première baptême politique de Zacharie Myboto est un échec, dû à son manque de volonté de s’affubler des couleurs du BDG dont il ne porte pas la politique dans son cœur, les événements de 1964 vont le jeter corps et âme dans l’arène politique. Pour cause : « J’étais et je reste profondément habité par un esprit de justice, explique Zacharie Myboto. (…) Pendant les premières années qui ont suivi l’indépendance, les combinaisons qui avaient fait en sorte que le Bloc démocratique (B.D.G) devienne le parti majoritaire furent de nature à fausser cet esprit de justice. Nous vivions certes, dans un système de démocratie pluraliste mais les pratiques de l’Etat s’apparentaient à celles d’un régime autoritaire : l’encouragement à la délation et aux dénonciations calomnieuses était un moyen de gouvernement»[43]

Mais avant d’évoquer ces événements, exhumons la situation politique du Gabon dès l’indépendance jusqu'à 1964. Cette plongée nous permettra de comprendre les événements  tumultueux de cette année.

Au lendemain de l’indépendance acquise au forceps en 1960, une crise va naître au sein du B.D.G entre Léon Mba, président de la République et Paul Gondjout secrétaire général du parti et président de l’Assemblée nationale. L’objet de cette crise est le choix de la nouvelle constitution qui doit présider le jeune état. Paul Gondjout, nostalgique d’un parlementarisme à la française, veut conserver la Constitution de 1959 qui accorde de larges pouvoirs à l’Assemblée nationale dont il est le président. Léon Mba, lui, souhaite un régime présidentiel estimant que « pour diriger un pays nouvellement indépendant qui regroupe tant d’ethnies et de tribus différentes de mœurs et de parlers, de peuples foncièrement régionalistes, il fallait un régime dictatorial plutôt qu’un parlementaire à la française ».

Pour départager les deux protagonistes, l’Assemblée nationale doit se prononcer le 4 novembre 1960. Et le verdict est en défaveur du président Léon Mba et de son gouvernement. La nouvelle constitution prévoit dans ses généralités que le président de la République est élu pour un mandat de six ans par un collège électoral constitué par les membres de l’Assemblée nationale et des  collectivités locales. Ce mode désignation n’est pas du goût de Léon Mba et de ses partisans : « En effet, laisser la désignation du président de la République entre les mains d’une Assemblée nationale qu’il [Léon Mba] de plus en plus de mal à contrôler – même dans les rangs de son propre parti – représentation pour lui un réel danger ».

Quelques jours après le vote de la nouvelle constitution par l’Assemblée nationale, Léon Mba passe à l’action. Il démet, sans consulter le bureau de l’Assemblée nationale les ministres Européens qui figuraient dans son gouvernement. Très vite, l’Assemblée nationale s’offusque de ces viles méthodes et menace de déposer une motion de censure pour destituer le chef de l’Etat comme le prévoit la nouvelle constitution.

Léon Mba prend la menace au sérieux et décrète l’état d’alerte conformément à l’article 20 de la constitution. Il signe ensuite de sa propre main un décret qui ordonne l’arrestation et l’internement administratif du président du l’Assemblée nationale, Paul Gondjout et de bien d’autres personnages politiques parmi lesquels Edouard Gondjout, frère de Paul et président du groupe parlementaire du B.D.G, Léon Augé. Léon Mba dissout quelques jours plus tard l’Assemblée nationale et annonce la tenue des nouvelles élections législatives pour le 12 février 1961.

En vue de ces élections, Léon Mba mène les ambassades auprès de Jean-Hilaire Aubame, son adversaire politique, afin de constituer une liste unique qui débouchera sur un gouvernement d’Union nationale au lendemain de leur victoire.

Le 21 février 1961, Léon Mba réussit à faire voter par une assemblée nationale acquise à sa cause une constitution de type présidentialiste. Mais le gouvernement d’Union nationale que Léon Mba forme au lendemain des législatives de février 1961 ne tiendra que deux ans car une nouvelle crise politique va secouer le Gabon.

En effet, depuis 1961 cheminait sous le riflard de « gouvernement d’Union nationale » l’idée d’un parti unique qui regroupera toutes les formations politiques. Mais si l’idée semble être acceptée par tous, Jean-Hilaire Aubame, ministre des Affaires étrangères et leader de l’U.D.S.G a quelques réticences. Car « dans sa conviction d’un B.D.G, parti de la nation tout entière dont il estimait qu’il était le père, Léon Mba estimait que tous les autres partis devaient se fondre dans le B.D.G. Une telle option était loin d’emporter l’assentiment de Jean-Hilaire Aubame qui semblait pencher pour la création d’un nouveau parti issu de la fusion, dans la liberté et l’égalité des anciens partis. Dès lors, au sein du gouvernement, le climat allait peu à peu se dégrader entre les deux composants de la coalition ».

Le drame qui en découlera va se jouer en trois actes à l’espace d’un an.

Premier acte.

Prétextant des mésententes et des aigreurs déguisées au sein du gouvernement d’Union nationale, Léon Mba démet le 19 février René-Paul Soussate du Punga, Jean-Hilaire Aubame de l’U.D.S.G de ses fonctions et ainsi que trois autres de ses affidés du conseil exécutif.  Jean-Hilaire Aubame se retrouve alors comme simple secrétaire général d’un parti affaibli.

Deuxième acte.

Cinq jours plus tard, Léon Mba propose par l’entremise de son jeune directeur de cabinet Albert Bernard Bongo à Jean-Hilaire Aubame le poste de président de la Cour suprême. Celui-ci l’accepte volontiers sachant que « toute nomination à une démission parce que l’on peut vous démettre demain ». Il ne faudra pas plus mois à Jean-Hilaire Aubame pour s’en rendre compte. « En le [Aubame] nommant président de la Cour suprême, le président Léon Mba entend sans nul doute lui assigner le rôle d’un fonctionnaire politique lié au régime et dont il peut disposer à sa guise ».

Troisième acte.

Au cours du congrès d’août 1963, Le B.D.G de Léon Mba réclame la démission du strapontin de la Cour suprême arguant « qu’il n’était pas légalement possible d’assurer à la fois, les fonctions de président de la Cour suprême et de député ». Flairant la manœuvre, Jean-Hilaire Aubame démissionne de la Cour suprême le 19 janvier 1964 et conserve son mandat de député. Léon Mba ne l’entend pas de cette oreille. Après avoir tenté vainement de relever Jean-Hilaire Aubame d’incompatibilité parlementaire pour avoir occupé la présidence de la Cour suprême pendant prés d’un an, il dissout à nouveau l’Assemblée nationale et convoque des nouvelles élections législatives pour le 23 février de la même année.

La dérive autocratique de Léon Mba et l’exclusion de l’opposition vont dresser le lit d’un coup d’Etat. Ainsi, dans la nuit du 17 au 18 février, une mutinerie se déclenche au camp de Baraka de Libreville. Sans rencontrer de véritables résistances, les mutins s’emparent du Président Léon Mba, de Louis Bigmann, président de l’Assemblée nationale ainsi que du directeur de cabinet présidentiel Albert-Bernard Bongo après avoir pris la présidence de la République et la maison de la radio. Le lendemain matin, après le communiqué des mutins, Léon Mba est contraint d’annoncer sa démission avant d’être déporté à Lambaréné par voie terrestre. Les mutins demande ensuite à Jean-Hilaire Aubame de prend la tête d’un gouvernement provisoire. Cela lui coûtera cher car il sera condamné à dix ans de travaux forcés et d’interdiction de séjour quelques mois plus tard.

Léon Mba ne devra son retour au pouvoir que grâce à l’intervention militaire française. Au petit matin du 19 février, les troupes françaises venues de Dakar et de Brazzaville sous ordre du général Kergaravat lancent leur assaut sur la capitale gabonaise. Ils reprennent le camp Baraka où est emprisonné Albert Bernard Bongo ensuite  le palais présidentiel puis la maison de la radio. Léon Mba lui sera ramené sur Libreville par les soldats français. Le coup d’Etat qui n’aura duré que deux jours fait un mort parmi les français et quinze parmi les mutins bien que des sources officieuses avancent le chiffre de vingt-cinq victimes.

 

Zacharie Myboto vivra cet événement à l’intérieur du pays : « (…) je ne cachai pas mon adhésion au changement mais aussi mon opposition par rapport au coup d’Etat d’autant plus qu’on était en période d’élections législatives »[44]. Comme bon nombre de ses compatriotes, Zacharie n’appréciera pas le retour aux affaires de Léon Mba : « La frustration inspirée par le retour aux affaires de l’ancienne équipe dirigeante s’accompagna d’un malaise de plus en plus fort devant une reprise en main musclée ».[45]

Le régime « semi-policier » qu’instaure Léon Mba à son retour aux affaires est le catalyseur de l’engagement politique du jeune instituteur. Et les élections législatives que le président Léon maintient pour le 12 avril 1964 en sera le théâtre : «  A partir de là, j’ai estimé que la pente que prenait le pouvoir était néfaste et qu’il fallait faire quelque chose. Le temps n’était plus aux atermoiements, aux interrogations stériles, le temps était à l’engagement. Il y allait de l’avenir du pays, de son basculement ou non sous un régime autoritaire, du respect des libertés fondamentales et de la justice. Les élections d’avril étaient l’occasion de me faire entendre. J’ai décidé de me présenter en candidat indépendant, pour défendre mes convictions, le respect dû aux autres et la liberté d’opinion ».[46]

Zacharie Myboto s’engage en politique sur du sable mouvant. Et le palais qu’il tente d’y bâtir s’écroulera comme un château de cartes. Candidat indépendant, sans moyens financiers ni réel soutien, outre la ferveur de quelques camarades tels que Martin Alini, Grégoire Okouyi et Georges Mabignath, Zacharie Myboto va se mesurer, à l’absence des listes U.D.S.G, faute de candidat, au B.D.G de Léon Mba dont le candidat Robert Doumangoye est soutenu par Eugène Amogho, ministre des Travaux publics et des Transports.

Zacharie Myboto et ses compagnons savent leur chance de remporter la victoire est assez minime mais pour eux « l’important [est de dénoncer la dérive autoritaire du pouvoir, de montrer à [leurs] compatriotes qu’il y [a] une autre voie et qu’ils [sont) des hommes du changement ». [47] Cette recette exotique Zacharie Myboto l’utilisera quelques années plus tard pour tenter d’exister sur le plan politique au lendemain de sa démission du P.D.G.

Si Zacharie Myboto sort vaincu de ces élections, son toupet ne laisse guère indifférente ses adversaires parmi lesquels le ministre Eugène Amogho, tête de liste du B.D.G, qu’il félicite pour sa brillante réélection va l’invitera chez lui et lui dira : « Jeune homme, j’ai entendu parler de vous pendant toute la campagne. J’ai eu l’occasion de vous apprécier, puisque nous nous sommes combattus. Alors, je voudrais vous dire ceci : j’aime les gens qui ont le courage de leurs opinions et vous faites partie de ces gens là. Continuez sur cette voie ».[48]

Un conseil que Zacharie Myboto, flatté, ne suivra pas à la lettre  car les lampions de la campagne des législatives éteintes, il remise au placard son engagement politique : « Dans l’immédiat (…), j’avais autre chose à faire : un métier à exercer, une famille à nourrir. (…) je redoutais également les représailles du pouvoir. S’opposer au régime en place n’était pas bien vu dans l’administration et mon échec aux législatives permettait toutes les punitions. Après avoir manqué si clairement ma différence, je m’attendais à tout. »[49]

Les craintes de Zacharie Myboto ne seront pas vaines : « (…) en septembre 1964, je reçus ma nouvelle affectation qui avait tout d’une mesure « disciplinaire », je compris que j’étais sanctionné. Aussi, pendant les vacances 1965, j’écris au ministre de l’Education nationale pour lui dire qu’après avoir servi dans le Haut-Ogooué pendant six ans, je souhaitais une affectation dans une autre région. L’administration a souscrit à ma demande pour la circonscription scolaire de la Ngounié-Sud, à Ndendé et trois mois plus tard, je fus nommé directeur de l’école primaire de Mimongo. J’y suis resté jusqu’en 1967 »[50].

 

Si le coup d’Etat du 18 février 1964 jette Zacharie Myboto dans l’arène politique, il va chez Albert-Bernard Bongo servir de premier tremplin vers les sommets de l’Etat. D’abord l’histoire officielle aux allures d’une fable de la Fontaine doublée d’un relent propagandiste voudrait que Bongo ait été le premier à avoir prévenu le président Léon Mba de l’évidence de la préparation d’un coup de force. « Le 17 février, aux environs de minuit, Albert-Bernard Bongo de retour d’un dîner en ville est prévenu par téléphone de l’imminence d’une intervention armée. Il se rend immédiatement à la présidence qu’il trouve déserte. Il convoque tous les chefs de service de la gendarmerie dont le commandant Ollin de la gendarmerie gabonaise, qui sitôt mis au courant prévient le colonel Vivet, chef de la mission française. A partir de ce moment, les faits s’enchaînent d’une manière implacable ».

Vrai ou faux, la loyauté de Bongo au président Léon Mba pendant le coup d’Etat va conforter sa position au lendemain du retour aux affaires de son « Patron ».

La vitalité dont fait montre Léon Mba au lendemain de son retour au pouvoir est trompeuse : « Le chef de l’Etat (…) demeure sous l’effet subi. Il ne peut ignorer que la partie véritable commence et qu’il ne se maintiendra qu’à force de courage, d’abnégation et de clairvoyance… Ce putsch manqué affecte profondément le président Léon Mba. Il devient excessivement méfiant, voire ombrageux à l’égard de ses ministres et collaborateurs ».

A peine donc remis du coup de force, Léon Mba va promouvoir l’émergence des jeunes « Sabras » « n’ayant pas participé à la lutte politique des premiers temps et qui n’étaient donc pour lui, ni d’anciens adversaires ni des concurrents dans son propre camp ». Et Albert Bernard Bongo est de ceux là. « Le président Léon Mba constitue successivement le 24 février et 25 avril des gouvernements de reconnaissance envers ceux qui ont su se montrer loyaux et qui ont de surcroît joué un rôle prépondérant au moment des élections. Toutefois le second gouvernement se singularise par l’entrée de quelques jeunes techniciens ».

Si Albert-Bernard Bongo n’intègre guère ces différents gouvernements, le directeur de cabinet présidentiel renforce ses pouvoirs.

La maladie – un cancer déclaré - du président Léon Mba qui sera connue de Jacques Foccart dès 1965 va servir de second tremplin pour Albert-Bernard Bongo vers les sommets de l’Etat. Le premier voyage post-coup d’Etat de Léon en novembre 1964 à l’étranger au près du général de Gaulle va inaugurer une série d’autres voyages plus longs dès février 1965. Foccart rapporte dans ses mémoires que c’est durant ce voyage de deux mois que Léon Mba lui livre l’identité de son successeur : Albert-Bernard Bongo. Fraîchement nommé ministre par intérim chargé de l’Information et du Tourisme cumulativement avec ses fonctions de directeur du cabinet présidentiel le 20 mars 1965, Albert-Bernard Bongo aurait été envoyé par Léon Mba au cours de cette même période auprès du général de Gaulle en vue d’être adoubé par celui-ci. Si Albert-Bernard Bongo nie cette version des faits, il admet tout de même que s’il en avait été informé à l’avance, il aurait eu « l’impression de quelqu’un qu’on envoie au poteau sans qu’il le sache ».

Le test réussi, Albert-Bernard Bongo se voit attribué par un autre arrêté signé par Léon Mba depuis Paris le 23 mars de la même année, cumulativement avec ses fonctions de ministre par intérim chargé de l’Information et de directeur du cabinet présidentiel, la charge de la Défense nationale. « Ce qui était exception car en prenant cet arrêté, interprète Gaston Rapontchombo, Léon Mba est toujours ministre de la Défense nationale. Tout se passe comme si au lieu de nommer un ministre délégué, le chef du gouvernement, retenu en France pour dé sérieuses raisons, ne voulait confier ce poste stratégique qu’à son directeur de cabinet, son homme de confiance ».

L’analyse de Gaston Rapontchombo est juste car au lendemain de son retour au Gabon, Léon Mba nomme Albert-Bernard Bongo le 24 septembre 1965 ministre délégué à la présidence de la République, chargé de la Défense nationale et de la nationale. Et Gaston Rapontachombo analyse à nouveau cette nomination : « Ces nouvelles charges de [Albert-Bernard Bongo] qui équivalaient dans la pratique à celles d’un Premier ministre (…) joueront un rôle déterminant dans la succession de Léon Mba, et seront à l’origine de bien des conflits d’intérêt »[51].

Cette succession que Gaston Rapontchombo évoque va se jouer en deux ans comme le rapporte Bongo dans son livre d’entretiens Blanc comme nègre.

Au-delà de ses attributions officielles de directeur de cabinet et de ministre délégué à la présidence de la République, Bongo assume dans les faits les fonctions de « président de la République par intérim » devant le vice-président de la République, Paul-Marie Yembit réduit à un rôle honorifique en contradiction avec l’esprit de la constitution. La nomination d’Albert-Bernard Bongo le 12 novembre 1966 au poste de vice-président de la République en remplacement de Paul-Marie Yembit ne viendra que formaliser officiellement cette situation de fait.

L’ascension de Bongo à 31 ans au poste de vice-président de la République n’est pas du goût de tout le monde qui voit en cela une lampe de lancement vers le plus haut sommet de l’état. Cette idée est renforcée par la maladie de Léon Mba connue de tous dans le sérail politique. « Aussi la première tâche de [Bongo] est d’asseoir son autorité et au besoin de se débarrasser des ministres récalcitrant en les nommant par exemple ambassadeurs (..) »[52].

Avec son culot habituel, le jeune Bongo, élevé à la bonne école à l’ombre de son parrain despote ne va guère laisser qui que ce soit disputer son os : « Pendant que nous étions à Paris, je sais qu’il s’est passé certains faits au Gabon, et je suis responsable devant le chef de l’Etat de la défense de ce pays. Or, on a profité de mon absence pour tenter de corrompre certaines personnes. Mais aujourd’hui je suis de retour, et tout va changer. Car j’estime que la plaisanterie a assez duré… Je serai impitoyable envers toux ceux qui propageront les fausses nouvelles… Ce ne sont certainement pas les pauvres villageois qui ont commencé à répandre ces faux bruits. L’affaire a commencé au sein du gouvernement et parmi les hauts fonctionnaires. Aussi j’entends contacter le ministre de l’Intérieur à ce sujet. Et nous deux, lui et moi en tant que chargé de la Défense nationale, nous n’hésiterons pas s’il le faut, à mettre les coupables en état d’arrestation. »[53]

 

2.

 Alors que son mandat n’est guère arrivé à son terme, Léon Mba convoque des élections générales pour mars 1967. Et c’est à l’occasion de ces élections que Zacharie Myboto et Albert-Bernard Bongo feront leur première rencontre.

Le 24 février, Léon Mba annonce par le biais d’une émission radiodiffusée enregistrée à Paris sa candidature avec comme colistier son vice-président Albert-Bernard Bongo. En réalité, cette « candidature exotique » a pour but de légitimer par le suffrage universel son dauphin. Outre cette légitimité, les élections législatives accouplées à la présidentielle ont eux pour objectif d’élire des députés dociles, acquis à la cause du vice-président de la République selon les séquences du scénario d’une succession déjà écrit.

En l’absence de Léon Mba, candidat unique à sa propre succession, retenu à Paris pour des raisons de santé, c’est donc seul que Bongo va parcourir tout le pays pour battre campagne. Et c’est au cours de l’un de ses meetings dans la Ngounié qu’il rencontre pour la première fois Zacharie Myboto, directeur de l’école de Mimongo. « Lors [du déplacement d’Albert-Bernard Bongo] à Mouila, chef-lieu de la Ngounié, le préfet, Jean-Arsène Bouguendza, demanda aux originaires du Haut-Ogooué en service dans la région d’être là, Albert-Bernard Bongo étant natif de cette province. Une fois arrivés à Mouila, nous avons décidé de rédiger une motion de soutien à celui qui était, il faut le dire, la fierté de notre région et en qui nous voyions l’avenir du pays. Je fus désigné pour être le rédacteur de ce petit texte et mes compatriotes me demandèrent de le prononcer en leur nom. Le lendemain, lorsque Albert-Bernard Bongo s’arrêta devant nous en compagnie de préfet, je le lus »[54].

C’est au cours d’une soirée organisée en l’honneur du vice-président de la République que Grégoire Okouyi, ancien colistier de Zacharie Myboto aux législatives de 1964, devenu préfet de Mimongo, décide de présenter le directeur d’école à Albert Bernard Bongo. Et celui de répondre à l’endroit de Myboto : « (…) je cherche à m’entourer d’un certain nombre de compatriotes et je voudrais voir ce que les uns et les autres, vous pourriez faire »[55]. Et Zacharie Myboto de  bredouiller : « Je serai très honoré, Monsieur le Vice-président de suivre un stage afin de me perfectionner ». A la suite de quoi, le vice-président fait appelle au ministre de l’Education nationale Paul Malékou et lui demande de trouver un stage à Zacharie Myboto.

Et c’est ainsi que Zacharie Myboto est envoyé à Bangui à l’Institut Régional de Recherche psychologique en octobre 1967.

Mais bien avant le départ de Zacharie Myboto pour Bangui, Albert-Bernard Bongo assure à Léon Mba, au lendemain du 19 mars, une victoire à la soviétique. Les résultats complets des élections attribuent au B.D.G de Léon Mba 90,90% des suffrages exprimés !

Entre temps, pendant la campagne électorale qui s’est déroulée du 6 au 19 mars, la santé du président Léon Mba s’était dégradée. Cela posait un problème quant à sa prestation de serment. Et c’est pour surmonter cet écueil que le 30 mars l’Assemblée nationale se réunit pour réviser l’article 11 de la Constitution, article relatif à la prestation de serment du président de la République : « L’explication de cette nouvelle intervention sur la constitution, nous éclaire Guy Rossatanga-Rignault, est fort simple : le chef de l’Etat réélu se trouvait toujours à Paris où le retenait sa santé qui ne s’améliorait guère. Or l’ancienne formulation de l’article 11 ne prévoyait la prestation de serment que devant l’Assemblée nationale. Léon Mba ne pouvant pas faire le déplacement de Libreville et l’Assemblée nationale ne pouvant tout entière se transporter à l’ambassade du Gabon à Paris où était prévue la cérémonie, la seule solution était de n’y dépêcher que le bureau de l’Assemblée »[56].

Affaibli par la maladie, Léon Mba prête serment en compagnie de son vice-président Albert-Bernard Bongo le 13 avril dans le salon de l’ambassade du Gabon à Paris devant le bureau de l’Assemblée nationale dirigée par Louis Bigmann. Notons au passage que Philibert Bongo, un de ses cousins à qui il avait cédé sa place aux législatives de 1961, était le vice-président de l’Assemblée nationale !

A cet instant, Albert-Bernard Bongo sait-il qu’il ne reste plus que six mois à vivre à son parrain ? Toujours est-il que le 16 juin, l’Assemblée nationale révise le deuxième alinéa de l’article 7 de la Constitution : « Alors, que jusqu’à cette date, l’élection du président et du vice-président de la République était acquise soit au premier tour (à la majorité absolue), soit au deuxième tour (à la majorité relative), le nouvel article 7 prévoit une élection à la majorité absolue au premier ou au second tour ».[57]

En juriste avisé, Guy Rossatanga-Rignault interprète cette nouvelle révision avant le passage du flambeau « comme une volonté de corser » les conditions d’élection du président et du vice-président une fois les élections permettant la succession ».[58]

La mort de Léon Mba qui intervient le 28 novembre à Paris apparaît comme la dernière séquence du scénario d’une succession savamment orchestrée depuis moins de deux ans. Une version officielle aux allures d’une fable voudrait que « le président [Léon Mb] avait souhaité se rendre le 28 novembre, un mardi, au début de l’après-midi, à l’ambassade du Gabon à Paris. Pris d’un malaise en cours de route, le chef de l’Etat expira à 17h30 à son arrivée à l’Ambassade, en « terre gabonaise »[59].

En épilogue du scénario de la succession, l’Assemblée nationale constatant « l’empêchement définitif du président de la République » fait prêter serment à Albert-Bernard Bongo le 2 décembre 1967. A 31 ans, Albert-Bernard Bongo devient le plus jeune chef d’Etat africain. Il en deviendra le doyen quarante ans plus ! Quel parcours atypique pour ce fils de paysan ! Si Bongo entre par effraction en politique, il entrera quarante ans plus par vocation dans l’Histoire.

 

Lorsque Albert-Bernard Bongo succède à Léon Mba le 2 décembre 1967, Zacharie Myboto se trouve à cette époque en stage à Bangui à l’Institut régional de recherche psychopédagogique. Comme bon nombre de ses compatriotes, il accueille avec beaucoup d’espoir l’arrivée d’Albert Bernard Bongo à la tête du Gabon : « Nous placions beaucoup d’espoir en lui peut-être parce qu’il était jeune et de la même génération que nous (…) De Bangui, nous suivions les premiers pas de chef de l’Etat avec le sentiment qu’avec lui, l’ère postcoloniale se présenterait sous de meilleurs auspices »[60].

En effet, dès sa prise de fonction, le jeune chef de l’Etat « est manifestement confronté à un défi : apparaître comme le « fils spirituel » de Léon Mba et le continuateur de son œuvre tout en affirmant sa propre personnalité et son style de gouvernement. En d’autres termes, il s’agit « d’exister » sans pour autant faire la « révolution »[61]. Et c’est sous le thème de « Rénovation » qu’Albert Bernard Bongo définit comme « la mobilisation des bras et des volontés » qu’il nomme sa politique.

Mais cette « mobilisation des bras et des volontés », Albert-Bernard Bongo l’amorcera avec du sang neuf, des jeunes loups à qui il veut confier des hautes responsabilités afin de façonner une doctrine au grand parti de masse qu’il veut créer. Car « le nouveau président se démarquera peu à peu de l’ancienne classe politique et il s’entourera de jeunes cadres issus pour la plupart des organisations estudiantines et des mouvements d’opposition qui s’étaient jusqu’alors opposés au régime. (…) en effet, une fois l’ancienne classe politique marginalisée ou écartée, c’est au sein de l’Association générale des étudiants Gabonais en France que se recruteront nombre des piliers du nouveau régime, quelques-uns se décernant même le titre, fort glorieux en ces temps, « d’idéologues du régime »[62]. Zacharie Myboto en sera un. Ce débauchage est appelé "politique de réconciliation et d'ouverture". Et pour joindre l'acte à la parole, le président Bongo "réduit les peines des condamnés [du coup d'Etat] de 1964 et finit même par libérer Jean-Hilaire Aubame en 1972, en le laissant alors vivre à Paris (...)"[63].

Le premier gouvernement d’Albert-Bernard Bongo sera composé des « sabras ». A l’exception de trois rescapés de l’ancienne classe politique qui lui auront donné des gages de bonne volonté. Mais derrière ce débauchage dans les organisations estudiantines et les mouvements d’opposition sous le signe d’ouverture, Albert-Bernard Bongo, en bon fils spirituel de son père reprend à son propre compte l’idée d’un grand parti de masse que celui-ci avait tenté d’imposer en 1963. Mais devant les velléités des partis d’opposition, l’Union sacrée dans laquelle Léon Mba avait liés les mains et les pieds de ses opposants, avait volée en éclats.

Aussi, le 12 mars 1968, soit quatre mois après son intronisation, Albert-Bernard Bongo annonce la création du Parti démocratique gabonais. « A partir d’aujourd’hui, j’ai décidé de créer un nouveau parti (…) j’appelle tous mes compatriotes à une nouvelle prise de conscience que j’appelle : Rénovation ».

Mais conscient par expérience que ce grand parti de masse dont la devise est "dialogue, tolérance, paix" ne saurait s’accommoder d’un pluralisme politique, il dissout les partis politiques et justifie la création du P.D.G par la nécessité de préserver et de consolider l’unité nationale : « Il est indéniable, je le répète, tous ceux qui ont vécu cette époque peuvent d’ailleurs en témoigner, que l’esprit de compétition – compétition entre les leaders politiques mais aussi entre les groupes ethniques – qui a persisté à la fondation de trois anciens partis a été pendant des années un élément de désordre et de stagnation qui a cristallisé des divisions plus artificielles que réelles (…) si j’avais laissé les choses aller en 1967, le Gabon divisé, tiraillé par les uns et les autres, serait devenu la proie de toutes les convoitises ». La révision constitutionnelle du 29 mai 1968 institutionnalise le P.D.G comme le parti politique de tous les gabonais. Parmi les trois autres révisions de la Constitution qui interviendront plus tard la plus importante sera celle du 1er juin 1969 qui renforce les pouvoirs du président de la République.

A l'article 20, le président de la République, chef de l'Etat devient, en cumule de ses attributs régaliens, chef des armées et de toutes les forces de sécurités". La révision du 31 décembre de la même année supprimera le poste de vice-président de la République au profit d'un vice-président du gouvernement. La nuance est de taille. Nommé par le président de la République, il assiste celui-ci. En cas de vacance définitive, il assure l'intérim et organise de nouvelles élections. En outre, l'élection du président de la République est accouplée à celle des députés sur une liste unique pour un mandat de sept ans.

En mai 1968, Albert-Bernard Bongo procède à un remaniement ministériel. Rigobert Landji devient ministre des Eaux et Forêts. On se rappelle que c’est le même Rigobert Landji qui avait suscité l’engagement politique de Zacharie Myboto en convaincant celui d’adhérer à une cellule du B.D.G. Bien que cette expérience s’était soldée par un échec, Rigobert Landji avait été charmé par le franc-parler du jeune instituteur.

Pour la constitution de son cabinet, Rigobert Landji envoie un télégramme à Bangui à Zacharie Myboto, télégramme dans lequel il demande à celui-ci d’en prendre la tête. « Je pris le temps d’y réfléchir, explique Myboto. Nous étions à deux mois de la fin des cours et la priorité était de finir mon stage pour obtenir le diplôme de conseille pédagogique. La politique étant ce qu’elle, je ne voulais pas courir le risque de me retrouver à la case départ quelques mois plus tard si je ne faisais pas l’affaire. D’un autre côté, la chance m’était offerte de travailler pour le gouvernement au moment où tant de choses bougeaient dans notre pays. Il ne fallait pas la laisser passer »[64].

Si Zacharie Myboto ne décline pas l’offre, il demande à son parrain politique de lui laisser deux mois afin qu’il termine son stage. Rigobert Landji accepte de « geler » le poste.  En juillet 1968, son diplôme de conseiller pédagogique en poche, Zacharie Myboto rentre à Libreville et se présente au secrétariat du ministre des Eaux et Forêts. C’est par un cabinet ministériel que Zacharie Myboto inaugure donc sa carrière politique.

Très vite, Zacharie Myboto prend la mesure de ses nouvelles fonctions : « Mon rôle était d’animer le cabinet du ministre, de vérifier les différents dossiers, d’organiser la liaison avec la présidence de la République et avec les autres départements ministériels. Un directeur de cabinet a aussi pour mission de maintenir au plus haut le niveau de qualité de prestations du ministre. Je m’y suis employé »[65]. Parallèlement à ses fonctions de directeur de cabinet, Zacharie Myboto donne libre cours à son militantisme en tant que membre du parti démocratique gabonais. Ironie de l’histoire. Zacharie Myboto dont les convictions et les principes sont fondés sur la morale chrétienne va très vite se révéler être fait pour la politique. Fini les années où il hésitait à passer le Rubicon pour accomplir sa carrière d’instituteur et profiter des douceurs de la vie familiale.  Il prend la tête d’un comité du P.D.G qu’il crée au sein du ministère. « Chaque mois, des réunions se tenaient, après le travail, pour faire le point et débattre des problèmes relatifs au fonctionnement du parti et du ministère (…) Des procès-verbaux que je rédigeais moi-même avant de les envoyer à la direction du parti, ponctuant ces réunions »[66].

Les talents d’organisateur de Zacharie Myboto ne vont guère échapper à la direction du parti qui reçoit chaque mois ses comptes rendus. Aussi, au lendemain du premier Congrès constitutif du 30 août 1969, congrès, auquel il prend une part active, Zacharie Myboto est coopté sur proposition de son parrain Rigobert Landji, membre du bureau politique : « Siéger au bureau politique n’était pas une situation très commode à gérer puisqu’il était mon supérieur sur le plan administratif, j’étais le sien sur le plan politique… Je me suis mis au travail en faisant la part des choses. Il fallait vaguer entre ce que je devais à mon ministre en tant que directeur de cabinet et ce que je devais faire comme membre du bureau politique du P.D.G »[67]. Une révision constitutionnelle interviendra en décembre de la même année pour institutionnalisée les résolutions du congrès du 30 août.

Le congrès ordinaire convoqué le 31 août 1970 décrétera le caractère unique du parti démocratique gabonais dans le paysage politique national. Ce congrès marque la première étape vers le contrôle de l'appareil étatique par le Parti. Le parti démocratique gabonais n’aura de « démocratique » que le nom. Car dans les faits, c’est un parti-Etat. Le contrôle de l'Etat par le Parti accouchera d'un régime totalitaire, selon la définition du dictionnaire le Robert : " (...) régime à parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, dans lequel le pouvoir politique dirige souverainement et même tend à confisquer la totalité des activités de la société qu'il domine".  L'organisation du Parti au fil des ans ressemblera à celle du parti communiste soviétique  avec ses organes tels que le Congrès, le Comité centrale, le Bureau politique, le secrétariat permanent, les fédérations, les sections et les petits comités, les organes spécialisées (l’Union des jeunes du parti démocratique Gabonais, l’union des femmes du parti démocratique gabonais)… Et le mérite reviendra aux thuriféraires du régime tels que Zacharie Myboto, Léon Augé, Jean-François Ntoutoume Emane et bien d’autres, grands architectes du parti devant l’Eternel ! 

En mai 1971, Zacharie Myboto quitte le cabinet du ministre des Eaux et Forêts pour prendre la tête du Secrétariat général de la Société gabonaise de marbre (Sogamar). Cette société « avait été fondée par les Italiens (…) avec des capitaux mixtes de l’Etat gabonais et de la SINCO. Il fallait un responsable aguerri pour représenter l’Etat et s’assurer d’une bonne marche d’une entreprise que le partenaire Italien contrôlait financièrement »[68]. Mais l’expérience ne durera que deux ans car très vite ses nouvelles fonctions le pèsent. Il demande à partir. Il est alors nommé Secrétaire général du Conseil consultatif national, « une coquille vide » à ses dires. Mais la consécration, elle viendra en 1972. En novembre de cette année, lors d’une soirée théâtrale à la présidence de la République, soirée à laquelle Zacharie Myboto est convié, Albert-Bernard Bongo lui propose le Secrétariat administratif du PDG. Le lendemain, Albert-Bernard Bongo le reçoit à son bureau au palais de la Présidence pour lui donner des orientations et lui notifier officiellement ses fonctions. En accédant à ce poste, Zacharie Myboto faisait d’une pierre deux coups : il devenait à la fois le numéro deux du parti et du régime.  « En me confiant le poste de Secrétaire administratif, le président Bongo comptait mettre à profit mes capacités à faire fonctionner des structures plus ou moins complexes. Avec son bureau politique d’une trentaine de membres, son comité centrale, ses différentes commissions, ses organes locaux, le parti était en une. Mes responsabilités étaient lourdes. Dès la passation des pouvoirs, je me suis mis au travail »[69].

Ayant trouvé un poste à la mesure de ses ambitions et de sa soif gargantuesque de puissance, Zacharie Myboto s'entoure des meilleures têtes pensantes du parti parmi lesquelles Léon Augé, Jean-François Ntoutoume et autres. Les différentes organes et instances du parti qu’ils mettent en place vont leur permettre de traduire en acte l'instauration du monopartisme. Celle ci- a déjà été entérinée par la modification de la constitution du 29 juillet 1972. Cette modification est essentiellement intervenue sur les articles 4, 8, 9 et 10.

L'article 4 stipule que le P.D.G assure la participation des électeurs à tous les suffrages. Il est le garant de l'unité nationale et œuvre pour la promotion économique et sociale du pays. Il établit la liaison nécessaire entre le Gouvernement et le peuple gabonais. Nul ne peut se voir confier un mandat public électif, s'il n'est investi par le Parti.

A l'article 8 qui prévoyait que le président de la République est assisté d'un vice-président du gouvernement qu'il nomme et qui exerce en son nom les pouvoirs qu'il lui délègue est ajouté que le vice-président du gouvernement assure l'expédition des affaires courantes en cas d'absence du chef de l'Etat. Guy Rossatanga-Rignault, en juriste avisé, interprète la modification de l'article 8 en ces termes : "A priori, il s'agissait de fixer de manière permanente les attributions du vice-président du Gouvernement en cas d'absence du chef de l'Etat à une période où le président de la République prenait souvent, pour reprendre l'expression consacrée, "son bâton de pèlerin" à la recherche de financement pour certains projets de développement. » [70]

Et Guy Rossatanga-Rignault ajoute ironiquement : "Par ailleurs, il n'est pas exclu d'y voir une velléité de décourager toute tentative pour le vice-président de dépasser la délégation à lui confiée par le Président de la République"[71]. La révision de l'article 9 vient renforcer ce soupçon en prévoyant que "les pouvoirs dévolus au président de la République par l'article 19 ne peuvent être exercés provisoirement par le vice-président du Gouvernement qu'après accord du Bureau politique du P.D.G et des présidents de l'Assemblée nationale et de la Cour Suprême."La révision de l'article 10, quant à elle, fait du bureau politique du P.D.G un des acteurs de la saisine de la Cour suprême et de l'Assemblée nationale en cas de vacances de pouvoir.

Les résolutions du congrès extraordinaire de janvier 1973 vont renforcer le pouvoir du bureau politique à qui échoit la conception de la politique du parti et de celle de la nation de commun en accord avec le gouvernement.  Et c'est au cours de ce congrès extraordinaire de janvier 1973 que Zacharie Myboto et ses ouailles proposent au parti la création d'un politburo russe sous l'appellation locale : "La Permanence du Parti". Cette Permanence se veut,  explique Zacharie Myboto  "un secrétariat permanent qui comprend principalement quatre grands responsables, le secrétaire général-fondateur, Albert-Bernard Bongo, le directeur de la maison du parti, poste qui sera supprimé plus tard, Georges Gnambault, le responsables des organismes spécialisés du parti Léon Augé, et le secrétaire administratif Zacharie Myboto"[72]. Zacharie Myboto, inspirateur de cette permanence en donne les objectifs : "La Permanence était l'organe exécutif du parti dont elle coordonnait les activités mais elle avait également une fonction plus conceptuelle en tant que force de propositions : sa mission était, aussi, de réfléchir à l'organisation du pays, aux moyens de son développement, aux lois nécessaires à son progrès, aux besoins de la population, etc. bref, à toute la vie de la Nation". En un mot, cette "Permanence" avait les attributs d'un gouvernement bis. Pour preuve : "Afin d'intégrer les décisions des organes dirigeants du parti (Bureau politique, Permanence et Comité centrale) à la marche du pays, explique Myboto, nous (Les membres de la Permanence) saisissions le gouvernement pour qu'il traduise sous forme de lois ou de textes réglementaires. Nous devions également communiquer avec la base pour la mise en œuvre des décisions prises par les instances dirigeantes précitées."[73] A l'adoption de la Permanence à la fin du Congrès, Zacharie Myboto comme il le confirme lui-même se retrouve " au cœur de l'action politique et des prises de décisions engageant l'avenir du Gabon". En qualité de secrétaire général du parti, de membre du bureau politique, du comité central et de la Permanence du parti et de ministre de l'Information, Zacharie Myboto organise l'implantation du parti sur l'ensemble du territoire, il prépare les réunions des instances dirigeantes du parti, il lance la formation des militants à travers des débats fictifs diffusés à la télévision et à la radio.

Au lendemain de ce congrès extraordinaire, Albert-Bernard Bongo convoque des élections anticipées suite à son vœu de remettre en jeu son mandat acquis en 1967. Ces élections sont prévues pour le 25 févier de la même année. Ces élections présidentielles à candidat unique en la personne d'Albert Bernard Bongo ont lieu en même temps que les législatives. Le Parti établit une liste unique tant pour la présidentielle que pour les législatives. Les membres du gouvernement sont eux aussi tenus de participer aux législatives. Ces élections marquent le début du cumul des mandats qui deviendra plus tard la marque de fabrique du régime. Au lendemain du 25 février, c'est sans surprise que  le président de la République et les membres de la nouvelle Assemblée nationale sont élus avec une majorité de 99,59 %. Un score à la soviétique !

En septembre de la même année, le président Bongo se converti à l'islam. A son retour de la Mecque qui est "un passage obligé pour un musulman accompli digne de ce nom", il prend le nom de El Hadj Omar Bongo. Comme le relève si bien Bonjean-François Ondo, la conversion du président Bongo à l'islam aura curieusement « d'autres prolongements avec d'une part, l'affiliation [du Gabon] à la Ligue islamique mondiale avec son pèlerinage à la Mecque et son séjour dans les pays arabes des Emirats (Abu-Dhabi) et d'Afrique (Libye et Mauritanie) »[74]. Cette conversion marque aussi l'ouverture du Gabon sur le monde avec les voyages que le président Bongo effectue en URSS, en Chine, à Hong-Kong, en Inde, au Koweït et au Liban.

Les résolutions du congrès extraordinaire de janvier 1973 sont institutionnalisées par la révision constitutionnelle qui intervient  le 15 avril 1975. Cette révision qui touche  au total 26 articles de la constitution va accroitre l'intervention du Parti dans le fonctionnement de l'Etat. En outre, elle fait apparaître en son article 20 le remplacement du vice-président du gouvernement par un Premier ministre qui lui est assisté d'un vice-Premier ministre. Guy Rossatanga-Rignault interprète la révision de l'article 20 de la Constitution en ces termes : " Cette révision est beaucoup plus symbolique que profonde. En effet, si le nouveau Premier ministre gagne quelques attributions par rapport à l''ancien vice-président du gouvernement, il n'est pas encore le chef du Gouvernement"[75]. Si le nouveau Premier ministre n'est pas le chef du Gouvernement, qui l'est alors ? L'article 21 répond nettement à cette question: "Le président de la République". Mieux encore : Le président de la République, chef du gouvernement,  est également ministre de la Défense nationale et peut, en outre, avoir la responsabilité directe d'un ou plusieurs secteurs ministériels. Et Guy Rossatanga-Rignault d'ajouter : "C'est là un accroissement manifeste des pouvoirs du président de la République qui devient ainsi membre supplémentaire du gouvernement (...)"[76]. Conformément à l'esprit de ces nouvelles modifications, le président Bongo, chef de l'Etat, chef du gouvernement, ministre de la Défense nationale s'attribuera trois mois plus tard le portefeuille de ministre de l'Information.

En réalité, dans les prémices d'un régime présidentocrate que le PDG est en train d'élever autour de son président fondateur, la fonction de premier ministre est une "fiction" pour reprendre l'expression de Jean-François Revel. Le premier ministre "ne jouit d'aucune autorité qui lui appartienne en propre (...) l'autorité déléguée même qu'il reçoit du président lui est, dans le détail, constamment disputée et reprise par ce dernier. Il n'a même pas la liberté de choisir tout seul ses ministres. Les plus importants d'entre eux lui sont imposés par le chef de l'Etat."[77] L'assujettissement du Premier ministre va plus loin encore. Dans l'exercice de ses fonctions, il est contraint de cohabiter avec deux créatures du chef de l'Etat : un membre du bureau politique du Parti et le président de l'Assemblée nationale. Les décisions qui émanent de ce collège sont prises à l'unanimité ou à la majorité.

Première conséquence de l'irréalité du Premier ministre, la dégénération de tout l'exécutif : " Sachant ne pas tenir du [Premier ministre] leur nomination, ils [les ministres] estiment donc n'avoir ni instructions à recevoir de lui ni compte à lui rendre (...). Le plus intriguant est que ces ministres, auxquels la stabilité de l'exécutif devrait conférer du recul et de la sérénité s'exténuent de hargne face à la plus courtoise objection, nient les évidences, se dépensent en lourdes opérations de relations publiques au lieu de gouverner."[78] Seconde conséquence, l'exécutif dégénéré jette les bases d'un régime nomenklaturiste au sens où l'entend Michael Voslensky[79]: "De plus, au fur et à mesure que le système présidentiel a dégénéré au fil des ans et de la sclérose caractérielle de ses détenteurs, les conducteurs de la politique de la nation se sont recrutés toujours davantage parmi les amis personnels du chef de l'Etat, ses  favoris, ses vieux ou jeunes serviteurs, ses courtisans et de moins en moins parmi des caractères politiques véritables, possédant une assise personnelle dans l'électorat et animés d'une conviction prenant sa source en eux-mêmes. L'Etat achève ainsi de se délabrer entre les mains de toute une cour de dévots dévorateurs de faveurs, qui se savent intouchables en tant qu'"hommes du président", de tout un entourage de falotes créatures dont l'obséquiosité a fait fortune et dont, aux affaires, l'infactuation égale l'impréparation"[80].

 Trois ans plus tard, une autre modification de la loi fondamentale interviendra. Suite au vœu du président Bongo qui dans son allocution à la nation en décembre 1978 veut refondre les statuts du parti démocratique gabonais afin que celui-ci occupe la place qui lui revient dans la nation, à savoir, la première, un congrès extraordinaire est convoqué en janvier 1979. Au cours de ce congrès, Zacharie Myboto et ses ouailles introduisent "l'idée de démocratiser l'accès à certaines fonctions dirigeantes, notamment au sein du comité central : au lieu d'entériner seulement le choix préétabli à un certain niveau, les militants avaient la possibilité de choisir les responsables à partir des élections internes »[81]. Il propose  avec l'aval du secrétaire général président fondateur au parti une révision de la constitution afin d'achever la prise de contrôle par le Parti de l'appareil de l'Etat."[82]. Par cécité intellectuelle, Zacharie Myboto se réjouit de cette mascarade qu'il appelle "innovation" : "Faire avancer la démocratie à l'intérieur du P.D.G, faire progresser les mentalités est l'une des actions dont je reste fier car ce fut un pas décisif pour la formation de l'esprit démocratique"[83]. Les décisions de ce congrès vont entrainer une révision constitutionnelle en avril de la même année. Cette révision va marquer "une étape importante, sinon la plus importante, dans la progressive prise de contrôle par le Parti démocratique gabonais de l'appareil d'Etat"[84]. En ce sens qu'elle va tailler le patron d'un régime totalitaire. Ainsi, le Titre II est consacré entièrement au P.D.G. L'article 5 de ce Titre  stipule que : " le Parti démocratique Gabonais a pour mission de créer et de maintenir sur le territoire gabonais un climat politique, économique et social propice à l'épanouissement équilibré et harmonieux de la société gabonaise et d'y préserver la paix et la démocratie fondée sur le dialogue, la tolérance et la justice. Il assure l'éducation civique des citoyens en vue de leur participation à l'œuvre de progrès économique et social. il définit l'orientation générale de la politique nationale. il suscite et participe à l'organisation de toute activité susceptible d'accroître le bien-être matériel et moral du peuple gabonais ; il contribue à la protection des droits de l'homme et du citoyen. il investit les candidats à la présidence de la République, à l'Assemblée nationale, au Conseil économique et social, aux assemblées provinciales, départementales et locales et à toutes autres fonctions électives politiques. Il prend toutes mesures propres à résoudre les problèmes de la société gabonaise sur la base du progressisme démocratique et concerté. Il élabore les listes d'aptitudes aux emplois et aux fonctions les plus élevées de l'Etat. Il dirige l'action sur l'ensemble du territoire. Il est le garant de l'unité nationale". En son article 6, l'organisation, les structures et les modalités de fonctionnement du PDG sont déterminées par les statuts et règlements qui ont force obligatoire.

Dans d'autres articles, cette révision constitutionalise d'autres décisions du congrès de janvier : le mandat des députés élus en 1973 est réduit à 5 ans au lieu de 7 ans. Ceux-ci seront désormais choisis par le bureau politique. Le Grand Camarade président-fondateur du parti est le seul candidat à l'élection présidentielle et son mandat est maintenu à 7 ans. Dès lors que « le parti ayant dorénavant  la responsabilité d'investir les candidats à la présidence de la République, à l'Assemblée nationale, aux assemblées provinciales, départementales et locales, et à d'autres fonctions électives, explique Bonjean-François Ondo, il devenait opportun de fixer la date de ces différentes consultations. Cela se fera au congrès ordinaire du 16 novembre (1979] qui a pour objet l'investiture officielle du président-fondateur, candidat unique du Parti, dont la date est fixée au 30 décembre 1979 »[85]. Au soir de ce 30 décembre, le président Bongo est réélu sans réelle surprise avec un score avoisinant les 100 % !

Parallèlement aux différents congrès et révisions constitutionnelles qui consacrent l'emprise du parti sur l'Etat, Zacharie Myboto continue son bonhomme de chemin. Ce 4 février 1978 se montre bonne fille. Il est nommé secrétaire d'Etat à la présidence de la République chargé de l'information cumulativement avec ses fonctions de secrétaire administratif du P.D.G. Il ne cache d'ailleurs pas sa joie : " (...) en faisant officiellement au gouvernement, écrit-il, je ressentis un moment de fierté en pensant à mes parents, à ma famille, à ma femme et à mes enfants qui grandissaient, et à la vie que j'allais devoir organiser pour mener à bien mes deux activités tout en conservant assez de temps pour eux."[86] Et dès sa nomination, Zacharie Myboto ne se fait pas d'illusions sur sa mission à la tête du secrétariat à l'information placé directement  sous l'autorité du président de la République à la fois ministre de la défense et de l'information : " Dans un régime comme le nôtre, le ministère de l'Information était un ministère clé. C’était lui avait la charge de faire passer un certain nombre de message à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Il fallait quelqu'un qui soit en symbiose avec la vision du chef de l'Etat et capable de la "mettre en musique" à l'intention de nos compatriotes. Pour assumer ce rôle très délicat, j'étais placé sous l'autorité directe du président de la République à qui, dans les premiers temps, je crus nécessaire de rendre compte régulièrement. Jusqu’au jour il me dit qu'il ne m'avait pas nommé pour que je lui dise tout ce que je faisais. Autrement dit, il me faisait confiance pour gérer le département comme je l'entendais. C’était à moi de prendre mes responsabilités. Je n'en demandais pas davantage car cela correspondait à ma façon de voir et de travailler. A charge pour moi de le tenir informé en cas de nécessité."[87] A sa façon de voir et de travailler, Zacharie Myboto va transformer  la chaine de radio et de télévision et l'agence gabonaise de presse en une caisse de résonnance du Parti démocratique gabonais. "Attentif à tout, je passais régulièrement dans les salles de rédaction pour voir comment les journalistes se présentaient aux téléspectateurs ou à la radio, je suivais leur façon de s'exprimer, la qualité de leur texte et, ici ou là, je leur suggérais des améliorations."[88]

 Le début des années soixante dix marque les premiers pas d'un état policier. Germain Mba est assassiné dans des circonstances douteuses. Pierre Péan dans un de ses livres (Affaires africaines) accuse le président Bongo d'en être le commanditaire. Agondjo-Akongjo Okawé qui plaidera lors du procès consécutif à l'assassinat de Germain Mba est arrêté pour  atteinte à la liberté de l'Etat et condamné à dix ans de travaux forcés. Libéré après quatre ans de détention, il est sera placé en liberté conditionnelle. Le père Paul Mba Abessole, ordonné prêtre en 1968, connaîtra ses premiers démêlés avec le régime dès 1973. Ses prêches critiques lui vaudront son premier exil en France. Sur le plan économique, les années soixante dix vont être ce qu'on conviendrait d'appeler les "Dix glorieuses" par comparaison aux trente années durant lesquelles la France connut la prospérité. Dès le début de l'année 70, le président Bongo ouvre le pays à des investisseurs étrangers pour l'exploitation du minerai d'uranium de Mounana et l'extraction du pétrole. "C'est l'époque où le président Bongo commence à répéter : "faites-moi une bonne économie et je vous ferai une bonne politique. La production pétrolière qui avait atteint 5 millions de tonnes par an en 1969 va doubler à partir de 1974. Elle passera à 11 millions dans les années suivantes, avant de redescendre à 10 millions puis de diminuer ensuite à 8 millions durant le début des années 80.  

En prévision du 16e sommet de l'Organisation de l’Union africaine (O.U.A) de 1977, le pays se transforme dès 1974 en un immense chantier  avec la construction du chemin de fer, des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, des écoles, des centres de santé, etc. Mais très vite la malédiction de l'or noir va s'abattre sur les élites politiques du pays. Comme l'écrit Zacharie Myboto, "avec le pétrole est arrivé notre pire ennemi, l'argent  facile. Au lieu de prôner une gestion rigoureuse de ces sommes quasiment miraculeuses qui se déversaient dans les caisses du pays, on a constaté des conduits inacceptables qui ont handicapé notre développement. A partir de ce moment-là, des contradictions politiques sont apparues, les luttes intestines devinrent de plus en plus fortes et c'est finalement l'appât du gain qui devint le moteur de la vie politique. Chacun chercha à accéder à une fonction ou une place qui allait lui permettre de s'enrichir en profitant du système. Des clans se sont créés, chacun faisant tout pour protéger son accès aux richesses (...). Nouveaux palais présidentiels et autres immeubles, nouveaux boulevards et routes, nouvel éclairage public, etc., tous ces travaux qui avaient transformé le visage de la capitale avaient également donné lieu à des dépassements de budget et à des détournements. Dans ce pays qui avait tout pour vivre heureux et assurer aisément le bonheur de son petit d'habitants, le mécontentement s'installa. Pour longtemps"[89]. Le mécontentement dont parle Zacharie Myboto fera son lit aux débuts des années 80 au lendemain de l'arrivée au pouvoir des socialistes. Car toute la manne pétrolière « était loin d’avoir servi au développement du pays. Une bonne partie était allée dans les poches de la plupart des responsables de l’Etat qui, lancés dans l’affairisme, se servirent de différentes manières. Ainsi, profitant de leur position dans la hiérarchie administrative, certaines personnes s’enrichirent scandaleusement en opérant des détournements de deniers publics ou en se laissant corrompre par les hommes d’affaires étrangers. Les plus hautes autorités de l’Etat, elles-mêmes, participaient à ce pillage (…). Autant dire qu’une bande de profiteurs s’était emparée de l’appareil de l’Etat[90] ».

 

3.

 A l’aube des années quatre vingt,  Zacharie Myboto, secrétaire administratif du parti démocratique gabonais et puissant ministre des Travaux publics incarne avec bien d’autres personnalités telles que Georges Rawiri, Léon Mébiame, Louis Gaston Mayila, Jean-Pierre Lemboumba Lepandou et bien d’autres les valeurs des barons pédégistes. Ils occupent les strapontins les plus importants dans les gouvernements successifs, ils se partagent la rente pétrolière et sont au cœur de tous les complots.

Le président Bongo, grand scénariste de l'histoire politique de la nation devant l'éternel, est à l'image de ses collaborateurs. Ces propos de François Mitterrand critiquant Valéry Giscard d’Estaing en 1981 dans les colonnes du Monde pourraient bien s’appliquer à lui : « l’exécutif, c’est lui (…), le législatif, c’est lui, le judiciaire, c’est lui (…) si nous ne sommes pas plus tout à fait en République, il serait excessif de nommer dictature ce régime un peu fade où le pouvoir absolu ne s’exerce que pour le bon plaisir du Prince »

La révolution tranquille dont rêve en secret le peuple exécré par un régime dont la gestion du bien public et plus particulièrement la rente pétrolière est contestable, dont les dirigeants affichent une opulence ostentatoire, une allégeance aveugle à une politique qui a atteint ses limites et à un pouvoir centraliste qui bloque la circulation des élites, va poindre ce 10 mai 1981 à l'horizon avec l'arrivée au pouvoir des socialistes avec François Mitterrand. Au Gabon, « c’est dans un climat morose que va naître le Morena [Mouvement de redressement national]. Ses fondateurs [parmi lesquels simon Oyon’o Aba’a] se mettent à rédiger un document le « Livre blanc » dans lequel ils entendent dénoncer les abus (…) : détournement des fonds publics, le gaspillage, le "certains pensent que c'est l'occasion providentielle de prendre la parole pour dénoncer les abus de tous genres et proposer les réformes qui s'imposent". Ils créent clandestinement un mouvement politique dénommé "Le mouvement de redressement national".  Les fondateurs parmi lesquels Simon Oyon'o Aba'a se mettent à rédiger un document, "Le livre blanc" dans lequel ils dénoncent les abus du régime : " (...)  détournements publics, train de vie des ministres et assimilés,  népotisme, tribalisme". Le régime tente de bloquer la distribution du livre blanc dans les milieux estudiantins en arrêtant ses rédacteurs. "Cette première rafle, explique Bonjean-François Ondo, n'est ni portée à la connaissance du public. Ni les médias, ni la rumeur n'en disent mot". Les dirigeants du mouvement décident d'initier en décembre une marche pacifique afin de réclamer la libération de leurs compagnons et de porter à la connaissance de l'opinion nationale et internationale la violation par le régime des droits et des libertés de l'Homme, définis en 1789 et consacrés par la Déclaration universelles de droits de l'homme en 1948. La Gare routière et la présidence de la République sur le front de mer sont choisies comme  points de départ et de chute de la marche pacifique. Bonjean-François résume la conséquence de cette marche en ces termes : "A un moment donné, les marcheurs se trouvent face aux forces de l'ordre anti-émeutes puissamment équipées. La confrontation est inégale et la violence est telle que l'on compte de nombreux blessés. Ce fut également l'occasion de la seconde arrestation" [des dirigeants du mouvement]. Mais si la marche est durement réprimée par le régime, pour les dirigeants du mouvement, l'objectif visé semble avoir été atteint, dans la mesure où elle a trouvé un écho dans l'opinion publique nationale qu'internationale. Très vite, Amnesty International monte au créneau et classe le Gabon parmi les pays qui ne respectent pas les droits de l'Homme.  Malgré la répression, le Morena poursuit ses activités subversives en inondant Libreville et le campus universitaire des tracts et des feuilles de choux dénonçant ouvertement les travers du parti unique. Pour le régime, la coupe est pleine. En 1982, il passe à la vitesse supérieure en arrêtant les dirigeants du Morena. La France mènera les ambassades auprès du président Bongo comme l'explique l'ancien conseiller des Affaires de François Mitterrand. Soucieux "d'une part de plaider auprès des capitales africaines le respect des droits de l'homme et des règles démocratique, d'autre part, de veiller, au nom de la solidarité atlantique en cette époque de guerre froide, à la stabilité du continent (...) nous avions intervenus auprès des autorités gabonaises lors du procès d'une trentaine de membres du Morena, dont le "crime" consistait à avoir distribué des tracts. Le président Bongo, à qui j'avais exposé, avant le procès, que le président Mitterrand souhaitait qu'il fasse preuve de clémence, m'avait répondu qu'en raison de la séparation des pouvoirs il ne pouvait intervenir, mais qu'après la décision du tribula il pourrait éventuellement prendre des décisions des mesures de grâce"[91]. Les prévenus du Morena seront jugés et condamnés.

S'il le mouvement de Simon Oyono'o Aba est décapité à Libreville,  son aile parisienne dirigée par le Père Paul Mba Abessole va prendre le relais en dénonçant dans les journaux et les télévisions françaises les abus du parti démocratique gabonais. Pour être en conformité avec la réglementation française, Paul Mba Abessole crée l'association "Solidarité" pour héberger le Morena. Il n'est pas étonnant de penser qu'il ait été conseillé dans ce sens par les autorités françaises : "Aux opposants africains réfugiés en France, nous rappelions qu'ils avaient à observer un devoir de réserve, mais nous les laissions faire ce qu'ils voulaient, et la plupart du temps ils se rabattaient, pour contourner une éventuelle interdiction, sur des salles de réunions plus modestes que celles primitivement prévues. ce fut le cas pour le Morena, qui se trouva un samedi après-midi dans une salle de patronage alors qu'il avait prévu de tenir un meeting dans un grand hôtel parisien. Bien entendu, outre les militants, l'assistance comprenait quelques "sous-marins" du président Bongo et deux agents des Renseignements généraux français"[92]

La liberté de parole de Paul Mba Abessole, soutenus par des militants socialistes, et pas de moindre, va empoisonner les relations entre Paris et Libreville déjà minées par les propos peu diplomatiques du ministre français de la Coopération, Pierre Cot, qui entend "décoloniser, moraliser les relations entre Paris et le continent noir (...), tenir le plus grand compte de la situation des droits de l'homme dans chaque Etat concernés"[93]. "Affaires africaines", le livre de Pierre Péan - par ailleurs ami du Père Paul Mba Abessole - n'en rangera pas les choses. Comme l'explique Guy Penne : "Le livre de Pierre Péan avait fait l'effet d'un coup de tonnerre dans les relations franco-gabonaises. En ce temps de partis uniques, le président Bongo avait considéré qu'il s'agissait d'un crime de lèse-majesté, pensant que la gauche française avait poussé à la publication de ce livre qui rencontrait beaucoup de succès en France. Pierre Péan y dénonçait l'affairisme du "clan Gabonais". (…) le président Bongo (...) fit ainsi savoir qu'il romprait les relations diplomatiques avec la France si le livre était évoqué à l'émission télévisée de Bernard Pivot, Apostrophes"[94]. Les autorités françaises ne pourront empêcher la présentation du livre à l'émission de Bernard Pivot. Le président Bongo met en exécution sa menace comme le témoigne Zacharie Myboto, à l'époque ministre de l'Information : " (...) en guise de représailles, nous avions pris la décision, assez grave, je dois le dire, de boycotter toutes les informations en provenance de France. Du jour au lendemain, l'Hexagone n'exista plus, ni à la radio, ni à la télévision, ni dans les journaux : Les choses étaient allées si loin que nous n'avions même pas rendu compte de l'attenta contre le Drakkar, quartier général français à Beyrouth où des dizaines de parachutes avaient trouvé la mort en 1981 (...). Choqué par notre silence alors que toutes les capitales exprimaient leur horreur et leur soutien devant cette tragédie, Paris comprit alors qu'il fallait mettre un terme aux attaques contre le président Bongo"[95]. La réconciliation entre les deux pays établie par la visite du président Bongo en France sera précédée par d'intenses négociations comme l'explique Guy Penne : "François de Grossouvre, puis Roland Dumas furent dépêchés à Libreville pour apaiser la colère du président gabonais, qui fut invité à effectuer une visite d'Etat en France. Il n'y consentit qu'à la condition que "les Français, à un niveau très élevé, viennent préparer ici [au Gabon] cette visite". Ce fut au Premier ministre, Pierre Mauroy, qu'incomba en février 1984 cette démarche qualifié d’humiliante" par Le Monde"[96]

Pourtant, l'action téméraire de Paul Mba Abessole va porter ses fruits. Des négociations secrètes vont s'engager dès 1983 entre lui et le pouvoir. Contre la dissolution du gouvernement en exil érigé par Paul Mba Abessole, le régime consent à libérer les prévenus de 1982. Ce qui sera fait à partir de mars 1984.

Echaudé par les événements de la Gare routière, le président Bongo convoque précipitamment un congrès extraordinaire en mars 1983. Ce congrès a pour objet le renforcement des dispositions statutaires du parti qui conduiraient à une nouvelle modification à introduire dans la constitution. Mais derrière cet objet se cache l'idée d'une présidence à vie. Zacharie Myboto s'en explique : "Elle avait été évoquée ici ou là d'une façon évasive et nous y avions réfléchi en soulignant les réserves qu'elle nous inspirait. Cette fois, la chose avait l'air beaucoup plus avancé. Objectif visé : garantir la stabilité politique du pays"[97]. Le refus de Zacharie Myboto d'apporter sa caution à une présidence à vie cache mal ses propres visées : "Qu'est-ce qu'une présidence à vie, si ce n'est un "pouvoir sans borne" ? Je trouvais l'idée d'autant plus aberrante que le système du parti unique garantissait, jusqu'à preuve du contraire, la pérennité du mandat présidentiel. Non seulement, le président était élu pour sept ans renouvelables, mais, en outre, seul pouvait être élu le candidat du parti. Or celui-ci ne pouvait être personne d'autre que son chef. La structure du régime ne présentait donc aucun danger pour le président"[98].

Devant l'opposition que suscite cette idée au sein du parti, le président Bongo est contraint de prendre un certain nombre de dispositions qui accroissent les pouvoirs du parti comme seul parti légal l. Ainsi, le PDG devient le garant de l'unité nationale, il contrôle et dirige l'action du gouvernement. Il est obligatoirement consulté avant toute nomination aux emplois et aux fonctions les plus élevées de l'Etat.

Si le congrès extraordinaire de mars 1983 autorise l'entrée des militaires au comité central, il sera plus marqué par la création au sein du Parti démocratique d'un courant dit des "Rénovateurs. Si le président Bongo ne s'oppose pas à la création de ce courant mené par son propre fils, c'est qu'il sait qu'il pourrait s'en servir pour neutraliser certains de ses adversaires au sein même du parti. Né le 9 février 1959 à Brazzaville, Ali Ben Bongo avait fait ses études en France au collège Sainte-Croix de Neuilly-Sur-Seine, en banlieue parisienne. Reçu bachelier, il s'était inscrit à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. A son retour au pays, il intègre la présidence de la République comme conseiller personnel de son père. Durant ses études, il avait pris langue avec un certain André Mba Obame. Et cet André Mba Obame qu'on surnommera plus tard "Le prince des Ténèbres" à cause de son professionnalisme dans le mercenariat politique. Né en 1957 à Medouneu dans le nord du pays, André Mba Obame avait fait ses études supérieures en sciences politiques, tout d'abord à l'université Laval au Canda puis à l'université de Paris-Sorbnne où il obtient un doctorat en sciences politiques. A Paris, ses inclinaisons politiques d'activiste le conduisent à rejoindre les milieux de l'opposition au régime du président Bongo en France. Il rejoint alors la branche parisienne du Mouvement de Redressement National (Morena) menée par son cousin le père Paul Mba Abessole. Son talent d'orateur n'échappe à personne au sein du mouvement. Il en devient le porte-parole.  A la suite de l'appel au retour des opposants exilés à l'étranger lancé en 1983 par le président Bongo, il abandonne ses fonctions de porte-parole du Morena et rentre au Gabon. Nommé conseiller adjoint du président de la République pour les Affaires africaines et internationales en 1984, il devient trois ans plus tard membre du comité central du Parti démocratique gabonais. Et c'est avec la complicité active d'André Mba Obame qu'Ali Bongo crée le courant des "Rénovateurs" au sein du Parti. Les deux garçons, des véritables tontons flingueurs en apparence, regroupent autour d'eux d'autres jeunes loups aux dents acérés tels que François Owono Engogah dit « Eboué », Jean-François Ntoutoume Emane, Pendy Bouyiki, Alfred Mabicka… Pour imposer leur marque, ils choisissent de secouer le cocotier vieillissant du parti unique pour en faire tomber les apparatchiks qu'ils jugent rétrogrades et peu favorables à l'ouverture démocratique. Zacharie Myboto avec bien d'autres personnages tels que Léon Augé, Gaston Mayila, Paul Malékou, Léon Mébiame est un de ces apparatchiks. : « J'ai compris rapidement qu'ils cherchaient, en imposant dans l'opinion publique l'existence d'un courant rénovateur au sein du PDG, à montrer du doigt ceux qu'ils appelaient "les caciques". C'est-à-dire "la vieille garde". Autrement dit, Léon Augé, moi-même et bien d'autres (...) J'ai réfuté avec force cette approche (...) Ce débat de bas étage visait uniquement l'opinion publique pour lui faire croire qu'une sorte de "vieille garde" s'opposait aux tentatives de réformes de la jeune génération"[99].

Le congrès ordinaire de septembre 1985 achève la construction d'un Etat présidentocrate. Ces propos de François Mitterrand critiquant Valery Giscard d'Estaing en 1981 dans les colonnes du Monde pourraient bien s'appliquer au président Bongo au lendemain de ce congrès : "L'exécutif, c'est lui (...), le législatif, c'est lui, le judiciaire, c'est lui (...) si nous ne sommes pas plus tout à fait en République, il ne serait pas excessif de nommer dictature ce régime un peu fade où le pouvoir absolu ne s'exerce que pour le bon plaisir du Prince".

Le congrès de septembre 1985 est le premier de théâtre de bataille entre Rénovateurs et Caciques. Car au cours de ce congrès, les rénovateurs auront le mérite d'introduire l'idée d'une pluralité des candidatures à l'élection des membres du comité central. Cette idée s'étendra plus tard aux législatives de 1985 et aux locales de 1987. Mais les Rénovateurs n'en tireront guère profit, car "la vieille garde" menée par le Premier ministre Léon Mébiame, devenu chef de gouvernement depuis 1981, est prêt en découdre avec les jeunes loups. Il n'est de bonne guerre que de famille. "En effet, au moment de l’élection des membres du comité central, l'on a assisté à des manœuvres au cours desquelles le parti, tirant les ficelles à souhait, s'est livré à des actes dénués de toute transparence et ayant conduit à la déchéance publique de certains militants de la première heure"[100]. Le congrès de septembre 1985 qui entérine l'idée d'une pluralité des candidatures est le premier de théâtre de bataille entre Rénovateurs et Caciques.

Au sortir de ce même congrès de septembre 1985, le président Bongo, devenu secrétaire général du parti, est investi comme seul candidat à la présidentielle. Il est alors réélu en novembre de la même année pour un mandat de sept ans avec 99,97 % des suffrages exprimés. Tout va mieux pour le meilleur de monde. Pourtant, les Rénovateurs n'enterrent pas la hache de guerre. Car au sein du parti démocratique gabonais la question de l'ouverture divise les jeunes loups et les caciques. Les Rénovateurs menés par Ali, et au nom de l'accord qu'ils ont trouvé avec Paul Mba Abessole, estiment que l'heure de l'ouverture politique immédiate a sonné. Ils préconisent la dissolution du P.D.G au profit d'un parti majoritaire sous le nom de Rassemblent social démocrate gabonais (RSDG) "devant fédérer toutes les sensibilités politiques du pays". Les caciques menés par le Premier ministre, Léon Mébiame et soutenus par Zacharie Myboto, Léon Augé et bien d'autres ne l'entendent pas de cette oreille car ils voient en cette dissolution programmée du P.D.G une manœuvre des Rénovateurs visant à les écarter. Aussi, proposent-ils un temps de réflexion afin de gagner du temps. Ainsi, les Caciques obtiennent après le congrès extraordinaire du Parti du 11 janvier 1990 la création d'une "Commission spéciale pour la démocratie" dirigée par Georges Rawiri afin de débattre du bien-fondé d'une ouverture immédiate du système politique. Mais malgré cette incompréhension au sein du Parti démocratique Gabonais, le président Bongo avait paradoxalement autorisé quelques mois plus tôt son fils Ali Ben Bongo, André Mba Obame et le général Mbaye à rencontrer en secret Paul Mba Abessole à Paris. N'ayant toujours pas digéré de le ralliement d'André Mba Obame qu'il considérait comme une trahison au plus profond de lui, Paul Mba Abessole avait exclu la présence d'André Mba aux négociations entre lui et le pouvoir. Les deux parties avaient convenu dans la capitale française de l'ouverture du débat politique au sein d'une majorité baptisée "Rassemblement social démocrate gabonais (R.S.D.G). "A partir du moment où l'on m'a informé, s'expliquera plus tard Paul Mba Abessole, que le président Bongo pensait ouvrir le système politique et que pour cela, il avait besoin de discuter avec les Gabonais intéressés (...), qu'il m'invitait à venir exprimer ces idées-là, et que les Gabonais verraient si ces idées étaient intéressantes..., le 14 mai 1989, je me suis présenté pour la première fois au président de la République avec mémorandum... Nous sommes arrivés à l'idée d'instaurer le multipartisme"[101]. Les ambassades entre le Morena de Paul Mba Abessole et le parti au pouvoir vont commencer officiellement en juin 1989 au sein d'une commission rassemblant une cinquantaine de personnalités politiques du PDG et de l'opposition. Mais même au sein de cette commission, le débat est houleux. Pour les caciques, qui ont infiltré la commission, s'il y a ouverture politique, elle doit se faire au sein d'un seul parti, le P.D.G. Pour le Morena soutenu par les Rénovateurs, elle passe par la création du R.S.D.G qui se veut un laboratoire d'apprentissage de la démocratie. Pour une autre partie de l'opposition, s'il y a ouverture politique, elle ne pourra s'effectuer que dans un système politique multipartiste. Mais les événements de ce mois de janvier 1990 viendront forcer la main aux réfractaires au multipartisme.

Quelques mois plus tôt, plus précisément, en juillet 1989, Pierre Mamboundou force la porte du multipartisme. Il crée l'Union du Peuple Gabonais (U.P.G). Aux yeux du pouvoir, la création de ce parti politique est un crime de lèse-majesté. Accusé de complot, Pierre Mamboundou est condamné par contumace à dix ans de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Sa liberté de parole dans les milieux d'opposition parisiens ne plaît guère au régime. Le leader de l'U expulsé manu militari par les autorités françaises vers le Sénégal.

 Pour comprendre la grève générale de janvier 1990, il faut remonter au mois de décembre 1989. Plus précisément le 20. Ce jour-là, les étudiants de la faculté de droit et des sciences économiques de l'université Omar Bongo lancent un mot d'ordre de gel de cours pour protester contre leurs mauvaises conditions d'études. Devant le silence des autorités universitaires, les étudiants occupent le campus et boucle son accès. Dans l'après-midi, le ministre de l'enseignement supérieur, à l'époque, Jules Bourdès Ogouliguendé, improvise une réunion avec les étudiants regroupés au sein de deux structures la Mutuelle universitaire et l'Union des Jeunes du Parti démocratique gabonais (U.F.P.D.G). C'est l'échec de cette rencontre qui conduira au durcissement du mouvement. Guère satisfaits par les propositions du ministre et du recteur de l'université, les étudiants décident de durcir le mouvement. Quelques jours plus tard, la protestation des étudiants débordent de l'enceinte universitaire. La police intervient le mardi 16 janvier pour évacuer les étudiants en grève qui bloquent l'accès à l'université. Durant cette intervention, plusieurs étudiants seront arrêtés, tabassés et blessés. Dès le lendemain, les troubles débordent de l'université et gagne la capitale gabonaise. Conséquence, les transports en communs sont paralysés, plusieurs marchés et magasins de Libreville sont pillés par des casseurs, plus principalement ceux appartenant à la communauté libanaise. Les étudiants réclament la libération de leurs camarades interpellés et le départ du recteur de l'université. Si leurs camardes sont libérés le jeudi 18, la décision sur l'éventuel départ du recteur n'interviendra que le lendemain de la fermeture de l'université pendant deux jours à partir du 20 janvier. Car lors d'une conférence au cours duquel reconnait le zèle des forces de l'ordre, le ministre de l'enseignement supérieur annonce que le départ du recteur est en cours d'examen par l'autorité compétente. Cette annonce ne fera pas retomber la tension.

Le président Bongo reçoit finalement les étudiants le 22 janvier. Comme préalable à toute reprise des cours, les étudiants réclament la tête du ministre de l'Enseignement et du recteur de l'université. Si le président Bongo ne satisfait pas immédiatement ce préalable, il le fera quelques jours plus tard avant la reprise des cours le 29 janvier. Le président Bongo décide de créer une commission afin de recenser les dommages subis par les étudiants.  Pour faire face à la contestation estudiantine, le président Bongo fait preuve de cécité en oubliant que la crise de l'école est toujours un malaise sociale car " (...) si les satisfactions accordées aux étudiants (indemnisations et révocations des principaux responsables de l'enseignement supérieur) ouvriront la porte à un long cycle de revendications qui ne connaîtront un premier répit qu'avec l'ouverture de la Conférence nationale. Premiers à s'engager dans la brèche ouverte par les étudiants, les enseignants du supérieur seront suivis, dès le 12 février, par les instituions du secteur public réclamant des hausses de salaires, des indemnités de logement et de transport et une meilleure planification des affectations (...). Suivront les agents de l'Office des postes et télécommunications du Gabon avec l'extérieur -, ceux de l'Agence de la sécurité de la navigation aérienne en Afrique (ASECNA) et tant d'autres, notamment ceux de la Société d'Eau et d'Energie du Gabon (S.E.E.G) dont le débrayage provoquera officiellement cinq morts au Centre hospitalier de Libreville.". (...).

Cette cécité n'est pas seulement imputable en la personne du président de la République, mais à tout le système politique qu'il incarne comme l'atteste Jean-François Revel : "Il est curieux que le pouvoir qui possède la durée soit pourtant à ce point dénué des capacités de prévision. En matière de crises sociales, il ne voit jamais rien venir, se laisse périodiquement surprendre et réagit toujours dans l'improvisation et la panique (...). C'est que la durée ne lui sert pas ausculter la société, à en diagnostiquer les maux ou les besoins et à en prévenir les spasmes, elle lui sert à se complaire dans la présomptueuse contemplation de sa propre inexpugnabilité"[102]. Contrairement aux étudiants, la grogne sociale a largement débordé des revendications sociales pour déboucher pour toucher celui des libertés individuelles et politiques. Les mesures que prendra le gouvernement n'éviteront pas au pouvoir d'être emporté.

Avec du recul, les facteurs de cette grise sociale sont d'ordre politique qu'économique pour Guy Rossatanga-Rignault : " La paresse intellectuelle jointe à une pensée unique ne veulent voir dans le mouvement de démocratisation engagée depuis 1990 en Afrique que la conséquence de logiques extérieurs. Il n'en est rien comme les faits le montrent clairement. (...). Le système politique en vigueur à partir de 1968 avait atteint les limites de ses potentialités. Cela d'autant plus que le consensus de fait qui avait été à l'origine n'existait plus. (...) Les facteurs internes d'ordre politique sont multiples et variés. Il ya d'abord le blocage de la vie politique consécutif à la gestion de la cité par un parti unique fonctionnant, nolens volens, sur les bases du centralisme démocratique. Le blocage de la vie politique ne pouvait que conduire à un blocage de la société entraînant, à plus ou moins long terme l'implosion ou l'explosion du système. Une telle issue était d'autant plus prévisible que la contestation, pour sourde qu'elle ait pu être, n'avait jamais disparu"[103].

Il faut remonter au début des années 80 pour trouver les facteurs économiques de cette crise sociale. A partir de 1985, le Gabon entre de plein pied dans une crise économique sans précédente. Pour une économie de rente, la baisse des cours des pétroles et du taux de change du dollar se répercute sur les recettes budgétaires qui chutent de près de 60%. Devant l'ampleur de cette crise, le Gabon est contraint de faire appel au Fonds monétaire internationale et à la Banque mondiale. Dès 1986, un programme d'ajustement structurel est signé. Le chômage et la précarité, jusque-là inconnus des gabonais, font leur  apparition avec la fermeture de plusieurs entreprises budgétivores, la réduction des salaires dans la fonction publique et le gel des recrutements dans la fonction publique. L'implosion était prévisible dès lors le pouvoir, au lieu de réduire son train de vie pour contenir la conjecture économique, composa au lendemain du congrès de 1983 un gouvernement de  33 ministres, 17 secrétaires d'Etat, 21 délégués ministériels auxquels il faut ajouter 12 commissaires politiques, 12 conseillers d'Etat, le Haut représentant du président de la République, le représentant personnel du chef du gouvernement auprès des collectivités locales.

Au moment où la grogne sociale menace le régime, au sein du Parti démocratique gabonais, la guerre est larvée. Les manœuvres et les coups bas pleuvent. Comme en témoignent ces deux anecdotes racontées par Zacharie Myboto.

La première : "En janvier 1990, le président Bongo nous fit part de son souhait de convoquer un comité central de toute urgence. Le Mur de Berlin était tombé, deux mois plus tôt, la soif de liberté explosait dans des sociétés trop longtemps bridées et, au Gabon, les tensions sociales s'accumulaient dangereusement. Les dispositions statutaires ne permettaient pas de convoquer le comité central. Par ailleurs, des informations en notre possession, Léon Augé et moi, indiquaient que l'opération était dirgée contre nous (...). Si certains tenaient si fort à ce comité central, ce n'était pas seulement pour trouver des réponses à la solution intérieure, c'était aussi pour nous éliminer"[104].

 La seconde : " (...) alors que Libreville était en proie au désordre et réclamait et réclamait à cor et à cri le changement, tous les membres du gouvernement ont été convoqués pour un conseil de ministres début mars 1990. Contrairement à l'habitude, il n'y avait aucun ordre du jour précis (...). Séance tenante, on nous distribua un document un document portant révision de la Constitution où était proposée la création d'un poste de vice-président de la République. Une partie des membres du gouvernement semblait avoir eu vent de ce projet alors que les autres, dont je faisais partie, n'en savait rien. Le débat fut très houleux. Le premier grief était la précipitation, du reste injustifiée, enregistrée pour l'examen de ce texte. les objectifs qu'il visait et leurs conséquences furent imaginées par les uns et les autres avec passion. Le Premier ministre Léon Mba et les ministres qui étaient proches de lui condamnèrent vigoureusement ce projet de révision constitutionnelle (...). Ils affirmèrent que c'était une manœuvre pour esquiver certains problèmes et écarter le Premier ministre"[105]. Ces deux anecdotes témoignent de la fragilité et de la paranoïa de certains membres du régime favorisées par des visées égoïstes et partisanes.

Pour mettre fin à l'agitation sociale, le président Bongo remanie le gouvernement le 26 février. Sur les trente-deux ministres du précédent gouvernement, il en garde vingt-huit. Le Premier ministre Léon Mébiame est reconduit. Zacharie Myboto sauve sa tête. Il prend le portefeuille des Travaux publics et de l'Aménagement du Territoire. Le président Bongo annonce par la suite la dissolution du Parti démocratique gabonais et propose la création du Rassemblement Social Démocrate Gabonais (R.D.S.G) auquel Paul Mba Abessole de mèche avec les Rénovateurs menés par Ali Ben Bongo porte sa caution le 5 mars. Les Rénovateurs peuvent se frotter les mains. Le 6 mars, Paul Toungui, soutenus par quelques personnalités politiques et des jeunes cadres de l'administration sort du bois et appelle au soutien de la création du R.S.D.G. C'est l'appel du 6 mars qui marque la naissance du courant des Appelistes qui deviendra plus tard la cible des Rénovateurs après le flingage des Caciques. Pour bien s'assurer que toutes ces réformes passeront comme une lettre à la poste, le président Bongo s'abstient de dissoudre l'Assemblée nationale. Il prolonge par le biais de la révision constitutionnelle du 15 mars le mandat des députés de six mois. Ensuite, le président Bongo convoque une conférence nationale pour le 23 mars. Mais toutes ces mesures n'empêchent pas les mouvements de grève de se poursuivre ou de se déclencher. Elles continueront même au terme de la conférence nationale en avril en touchant le secteur bancaire et ne s'estomperont momentanément qu'après la nomination d'un nouveau Premier ministre de consensus avant que la mort de Joseph Rendjambé ne vienne rallumer la poudre.

 

La conférence nationale qui se veut un cercle de réflexion va s'ouvrir le 23 mars 1990 dans une cacophonie avec ses 2.000 délégués représentant pas plus de 150 associations dont 75 ont le statut d'organisation politique et 102 ont celui d'associations socioprofessionnelles. Et très vite, les malentendus vont se dresser : "Le principal des malentendus est purement factuel et réside dans la question de l'objet et du but de la Conférence nationale. Autrement dit, il s'agit de répondre à la question suivante : que va-t-on faire à la Conférence nationale ? La réponse à cette question varie selon le camp dans lequel on se situe. Du côté du chef de l'Etat et de ses alliés la question ne souffre pas la moindre ambiguïté : il s'agit de débattre des modalités de mise en place du R.S.D.G, nouveau partie devant fédérer tous les courants politiques nationaux tout en servant de cadre d'apprentissage d'un multipartisme à venir"[106].

Il le rappelle d'ailleurs dans son discours d'ouverture de cette conférence nationale : " (...) Mes chers compatriotes, pour des raisons évidentes que j'ai développés ces derniers temps, j'ai propose au peuple gabonais de réaliser une nouvelle avancée démocratique par une démarche originale vers le multipartisme intégral (...). Je préconise une évolution responsable vers le multipartisme intégral, évolution comportant une période transitoire d'apprentissage (...). C'est dans cet esprit qu'il m'est apparu indispensable de proposer la création d'un Rassemblement comme cadre nouveau et approprié (...). Dans la phase préparatoire à l'avènement du multipartisme, je veillerai à assurer une égalité de traitement à tous les courants qui s'exprimeront au sein du Rassemblement".

Le R.S.D.G que préconise le président Bongo n'a rien d'une démarche originale. C'est une vieille recette, à quelques ingrédients près, tirée du livre de cuisine politique du président Léon Mba, qui en 1963, fera volé en éclats l'union nationale instaurée en 1961. En effet, sous le riflard de l'idée d'un gouvernement d'union nationale composée au lendemain des législatives de 1961, Léon Mba entendait créer un grand parti de masse. Et pour ce faire, tous les partis d'opposition devaient se fondre dans sa formation politique, le Bloc démocratique gabonais (B.D.G), ancêtre du Parti démocratique gabonais (P.D.G). Devant la réticence des opposants, l'union nationale volera en éclat. Et l'histoire se répétera 27 ans plus tard avec l'idée d'un grand parti de masse nommé "Rassemblement Social démocrate gabonais (R.S.D.G), vivement souhaitée par le président Bongo pour étancher la soif démocratique du peule.

Si le Morena et quelques associations montées sur pièce pour l'occasion sont favorables à la création de ce Rassemblement que propose le président Bongo, pour une partie de l'opposition "regroupée au sein du Front Uni des Associations et Partis de l'Opposition (F.U.A.P.O), il s'agit ni plus ou moins que de s'inspirer du modèle béninois. Dès lors, l'objet de la Conférence nationale est de mettre à plat toute l'organisation politique de la cité gabonaise et, éventuellement, de remettre en cause la légitimité des gouvernants du moment. Quant au but, il consistera à exiger le passage immédiat du multipartisme"[107].

Pour le président Bongo, il ne fait aucun doute que son programme de démocratisation sous forme de courants transformés en partis au bout de cinq ans au sein du R.S.D.G sera approuvé. Car il a l'assurance de la majorité grâce aux cinq cent mandats que détiennent plusieurs associations dans son giron. A la surprise générale du camp présidentiel, la conférence nationale adoptera le multipartisme immédiat et le respect du mandat présidentiel qui prendrait fin en 1993, la mise en place d'un gouvernement de transition dirigé par un Premier ministre de consensus, la tenue des élections législatives, l'adoption d'une Charte de libertés et d'un programme d'action économique, financière et social, la création d'un comité de suivi des actes de la Conférence. Guy Rossatanga-Rignault, en juriste avisé, explique les raisons de ce chamboulement. La première raison "tient en ce que l'opposition s'étant présentée sous la forme d'une multitude d'associations et de partis elle ne pouvait que bénéficier du doublement du nombre de mandats par associations et de partis, elle ne pouvait que bénéficier du doublement du nombre de mandats par associations. D'ailleurs la plupart des associations et partis des deux bords finiront par s'intégrer dans une dizaine de parti au moment des élections". La seconde raison tient au fait que Paul Mba Abessole "après avoir admis soit par tactique soit par compromis l'idée de la majorité présidentielle, change (ra) son fusil d'épaule et exige (ra) lui aussi le multipartisme immédiatement (C.Mba, cité par Guy Rossatanga-Rignault, p.191). En effet, Paul Mba Abessole conscient de sa valeur et de sa popularité de Messie, mène une dissidence au sein du MORENA originel pour créer sa propre formation politique dénommée le Morena des Bûcherons. Son objectif : gagner les législatives, être nommé Premier ministre et remporter trois ans plus tard les présidentielles de 1993. Mais les choses ne vont pas se dérouler comme il l'escompte.

Amer et meurtri, le président Bongo dit son oraison funèbre sur la dépouille du parti unique entre joies et pleurs étouffés dans les travées de la Cité du 12 mars rebaptisée « Cité de la démocratie » : "A l'évidence, la Conférence nationale aura été un lieu d'une véritable incantation devant chasser les maux dont souffrait notre pays dans le cadre du parti unique. Mais le multipartisme ne sera pas pour autant une recette miracle, comme beaucoup de nos compatriotes le pensent, pour résoudre tous les problèmes et d'un seul coup. Certes, cette Conférence n'a pas répondu avec plénitude à mon appel au rassemblement. Mais peu importe, du moment que le Gabon en sortira vainqueur et plus fort que jamais."

Cet échec va ouvrir l'ère du soupçon au sein du Parti démocratique Gabonais.

Le 27 avril, le président Bongo nomme un nouveau Premier ministre en la personne de Casimir Oyé Mba. En nommant Casimir Oyé Mba à la primature, le président Bongo ne bouleverse pas sa géopolitique ethnique car comme l'ancien Premier ministre, Léon Mébiame, Casimir Oyé Mba est un fang originaire de l'Estuaire. Né en 1942 dans le Komo-Mondah, Casimir Oyé Mba avait fait ses études supérieures de droit et de sciences économiques dans la capitale française. Diplomé du centre d'étude financières, économiques et bancaires (C.E.F.E.B) de la Caisse centrale économique (aujourd'hui Agence française de développement), il intègre la Banque des Etats de l'Afrique centrale (B.E.A.C) où il fera l'essentiel de sa carrière jusqu'à en devenir le premier gouverneur africain avant sa nomination comme Premier ministre.

Le gouvernement de transition est constitué le 30 avril. Outre la participation des partis d'opposition avec six ministres, les deux têtes pensantes du clan des Rénovateurs entrent au gouvernement. Ali Ben Bongo conserve son portefeuille de ministre des Affaires étrangères tandis que son fidèle lieutenant louvetier André Mba Obame occupe le ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de l'Economie rurale. Quelques caciques et Appellistes ne sont pas en reste. Zacharie Myboto sauve les meubles en conservant in extrémis son portefeuille des Travaux publics, de l'Equipement, de la Construction et de l'Aménagement du territoire. Pour Zacharie Myboto, "ce portefeuille était un poste de premier plan. La situation du Gabon dans ce domaine laissait beaucoup à désirer. J'héritais d'un secteur sinistré, tout du moins en déshérence, où, faute d'investissements et d'entretien, la presque totalité partie du réseau routier n'était plus praticable. Je ne l'ignorais pas et, le jour de ma prise de fonction, j'avais déclaré que le bitumage de notre réseau était pour moi une obsession"[108]. Si Zacharie Myboto s'en réjouit, il se rendra compte plus tard que son obession va se transformer en un véritable cauchemar et, qu'en conséquence, ce portefeuille n'aura été qu'un cadeau empoisonné que lui aura offert sur un plateau d'argent le président Bongo.

Alors que la grogne sociale qui a secoué le pays dès le début de l'année s'est assoupie dans sa propre clameur, la mort de l'opposant Joseph Rejambé, (biographie) vient mettre le feu à nouveau à la calmie. Ce 23 mai, son corps inanimé est découvert dans un hôtel de Libeville. Cette découverte macabre sera le début d'une explosion de violence dont l'onde de choc atteindra la ville pétrolière de Port-Gentil. Dans la confusion qui suivra, la compagnie pétrolière Elf Gabon fermera ses installations à Port-Gentil et commencera l'évacuation vers la France de son personnel en même temps que des troupes françaises prendront disposition dans la ville. Des jours durant, la ville, comme livrée à elle-même, connaîtra un cycle d'émeutes. Cette intervention française va permettre au président Bongo de reprendre la situation en main.

 Pour les Caciques, les Rénovateurs d'Ali Ben Bongo et les Appelistes de Paul Toungui, floués par le Père Paul Mba Abessole, avaient mis le Parti en péril. Ils pouvaient se réjouir de leur victoire comme l'explique Zacharie Myboto : "Il fallut toute notre résistance et celle des militants pour éviter cette erreur [la dissolution du Parti] et sauver le parti : il était, qu'on le veuille ou non, une vraie composante politique majeure du Gabon et nous ne voyions pas pourquoi il aurait dû disparaître"[109]. Dès lors les Caciques en tête desquels Zacharie Myboto, Léon Augé et Léon Mébiame espèrent récolter les fruits de leur résistance. Il n'en sera rien. Ils en seront convaincus au cours du congrès du 18 mai qui va donner lieu à un affrontement entre courants. Par manque de perspicacité, les caciques ignorent qu'échaudé par la grogne sociale de janvier, la dissolution du Parti et la création manquées du R.S.D.G, le président Bongo est entré dans la période de "l’ingratitude politique" dont parle Alexandre Dumas en ces termes : « Il y a des services si grands qu’on ne peut rendre que par l’ingratitude ».

Au cours de ce congrès, Zacharie Myboto est évincé des instances du parti comme bon nombre des compagnons de sa clique : "Je m'y étais préparé, écrira-t-il plus tard. Le choc ne fut donc pas trop rude lorsque je fus relevé de mes fonctions à l'issue du comité central que j'avais mis tant de bonne volonté à réunir. Ironie de la politique... En revanche, lors de la passation de service, l'émotion fut vive. Après tout, j'avais mis dix-sept ans de ma vie dans cette grande aventure et j'avais servi avec loyauté. Si je m'en allais avec la satisfaction du travail accompli, j'étais triste de laisser derrière moi tant de souvenirs et de fraternité active, en résumé un véritable sacerdoce au service du pays (...). Je laisse le PDG en état de marche, malgré le malaise ambiant, et je suis redevenu un simple militant"[110].

Zacharie Myboto est remplacé à la tête du secrétariat administratif du Parti par un Rénovateur bon teint, Léonard Andjembé. Au cours de ce même congrès, le président Bongo se retire du secrétariat du Parti. Et c'est un Appeliste bon teint qui en prend la tête : Jacques Adiahinot. Pour les caciques rescapés de cette épuration politique au sein du Parti, la bataille est perdue et non la guerre. Les évincés tels que Léon Mébiame voudront se faire une santé politique lors de la présidentielle de 1993.

Cette épuration politique au sein du P.D.G nourrit de la rancœur, de la haine et de l'aigreur. Nombreux sont les hiérarques du parti qui sont tenté par une cure d'opposition. L'un des premiers à allumer la poudre est Jules Bourdès Ogoulingué qui démissionne de la présidence de l'Assemblée nationale pour créer le Congrès pour la Démocratie et la Justice. Dans la même foulée, Louis-Gaston Mayila, qui n'a pas été reconduit dans le précédent gouvernement, ni investi aux législatives, s'affranchit de l'ombre du président dont il était devenu le conseil personnel chargé du développement. Il crée le Parti de l'Union du Peuple (P.U.P). Divungi Di Djob di Dingue n'est pas en reste. Soupçonné d'intelligence avec Pierre Mamboundou supposé trempé dans un complot de coup d'Etat et condamné à dix de prison, il crée l'Alliance démocratique et républicaine (A.D.E.R.E).

Trop attaché au Parti démocratique gabonais qu'il a contribué à ériger,Zacharie Myboto n'est guère tenté par une cure d'opposition. Mais l'homme ne manque pas d'ambitions. Car il a longtemps flirté avec la puissance pour ne pas en avoir. En bon lecteur du droit, Zacharie prend son mal en patience. Il a en ligne de mire l'après-Bongo comme il l'explique lui-même : "La nouvelle constitution votée en 1991, à la suite de la Conférence nationale, avait mis en place un certain nombre d'institutions visant à renforcer la démocratie et elle précisait les modalités du mandat présidentiel. Elle stipulait  clairement, par exemple, qu'à la fin du septennat issu des élections présidentielles de 1986, soit en 1993, le mandat présidentiel se limiterait à cinq et que, à l'issue de celui-ci, le président ne serait rééligible qu'une seule fois en 1998, mais pas plus. Ces dispositions avaient été prises suite au retour au multipartisme pour mettre un frein constitutionnel aux velléités présidentielles de conserver le pouvoir le plus longtemps possible"[111].

Conformément à l'esprit des résolutions de la Conférence nationale, le gouvernement de transition dirigé par le Premier ministre Casimir Oyé Mba convoque des élections législatives pour le mois de septembre. Sur la ligne de départ, 550 candidats pour 120 sièges à pourvoir, 38 partis politiques et associations. Le premier test de l'exercice démocratique qu'elles offrent sera un véritable échec car les vieux démons vont réapparaître pour hanter les esprits des acteurs politiques de tout bord comme l'explique ce journal satirique cité par Guy Rossatanga-Rignault dans son livre : "A là pêche miraculeuse aux voix, le P.D.G n'a pas lésiné : mobilisation d'importants moyens humains - en quantité - et financiers à couvrir d'or le mont Iboundji. On en a distribué des dolès [argent] dans les quartiers et dans les villages pour acheter les consciences ou pour éteindre les rancœurs (...) L'opposition s'est illustrée dans l'exercice des pressions psychologiques - et mêmes physiques - sur les populations, des manipulations de candidatures, des tentatives de fraude, de la confiscation et la casse des urnes dès que ses militants avaient la moindre doute sur son contenu"[112].

Si le scrutin se déroule malgré ces incidents sur toute l'étendue du territoire, la validation de ses résultats va donner naissance à un imbroglio. Les premiers à jeter le trouble sont Paul Mba, Pierre-Louis Agondjo-Akawé et Serge Mba-Békalé qui dénoncent avant même le premier tour des fraudes massives. La proclamation des résultats de ce scrutin le 21 septembre n'évacueront pas le soupçon des fraudes massives. Si au lendemain de la proclamation des résultats, l'annulation du scrutin fait l'unanimité, il n'en sera pas de même les jours qui suivront. Les partis qui ont obtenus le plus grand nombre d'élus au premier tour tels que le Parti démocratique gabonais (P.D.G), le Morena-Bûcherons, le Parti Gabonais du Progrès (P.G.P), le Morena-Originel et l'Association pour le socialisme au Gabon (U.S.G) sont devenus calculateurs. Au sein de la classe politique, cette question de l'annulation totale ou partielle du scrutin divise : "Dans le premier [camp] se trouvaient les partisans d'une annulation totale du scrutin, en l'occurrence le P.G.P. Dans le deuxième se trouvaient les partisans de la validité de ces élections là où existaient des élus, le P.D.G, l'U.S.G et le Morena-Bûcherons. Le troisième camp, composé du Morena-Originel et de l'A.S.P.G., se caractérisait par le fait que les représentants de ces partis à la réunion étaient opposés sur la conduite à tenir : une moitié souhait l'annulation totale, l'autre soutenait la position du deuxième camp. En fin de compte, en application de la règle de la majorité, la deuxième position l'emporta. Il fut donc décidé de recommencer le premier tour le 21 octobre dans toutes les circonscriptions où le précédent premier tour n'avait pas déterminés d'élus. Quant au second tour, il fut arrêté à la date du 28 octobre »[113].

Le deuxième tour est convoqué le 28 octobre. A l'issue de ce scrutin, le P.D.G se retrouve avec 62 élus contre 55 pour toute l'opposition.  Sur les trois sièges restant à pourvoir, le P.D.G s'arrache 1 et les deux autres vont à l'opposition. Le P.D.G se trouve avec la majorité parlementaire avec 63 députés contre 57 (note de bas de page : 18 sièges pour PGP 5 sièges petites formations politiques se partagent les 19 sièges restants) pour le P.D.G. Avec 18 députés, Paul Mba Abessolo peut dès lors enterrer ses ambitions d'être élu Premier ministre. François Kpatindé explique dans Jeune Afrique du 7 novembre 1990 les raisons de la défaite de Paul Mba Abessole : "Si le P.D.G a gagné, c'est faute... de combattants.  Le Morena des Bûcherons, la principale force politique d'opposition, a offert la victoire sur un plateau d'argent à un adversaire tout surpris de se retrouver avec une majorité à la chambre. Un simple communiqué, diffusé le 21 octobre, a suffi pour plonger la dernière semaine de campagne dans la monotonie et enlever tout intérêt au scrutin : "Le Morena des Bûcherons refuse les élections qui se sont déroulées ce jour, 21 octobre, quels qu'en soient les résultats, ainsi que celles prévues le 20 et appellent ses militants au boycott". Et Guy Rossatanga-Rignault d'ajouter dans le même sens que le journaliste de Jeune Afrique : "Cette position du Morena des Bûcherons était d'autant plus paradoxale que non, seulement certains de ses candidats qui étaient en ballotage favorable se sont maintenus au mépris du mot d'ordre de leur parti, mais surtout l'ensemble des élus finira par siéger, au nom du parti, dans une chambre que Paul-Mba Abessole, le président du parti, qualifiera d'"Assemblée foutaise".[114]

Au lendemain de ces mêmes législatives, le multipartisme tant souhaité enfantera sa première tare : le vagabondage politique. En effet, pour renforcer son contingent parlementaire affaibli par les démissions en cascade des hiérarques du P.D.G tentés par une cure d'opposition, le pouvoir n'hésite pas à "débaucher" dans les rangs de l'opposition. "Ainsi, à peine élus, un certain nombre de députés de l'opposition se pressent de rejoindre la majorité présidentielle affaiblissant ainsi l'assez forte minorité parlementaire d'origine"[115]. Guy Rossatanga-Rignault poursuit sur la même lancée en situant l'origine d'une telle pratique dans le manque de maturité et d'idéologie des acteurs politiques : "C'est en effet dans l'absence de convictions réelles de nombre d'élus qu'il faut chercher la cause profonde. Les appareils politiques gabonais sont encore trop souvent de simples conglomérats d'intérêts où chacun, comme dans une auberge espagnole, apporte ce qu'il est et ce qu'il a là où il est convaincu de trouver son "bonheur". Cela ne peut durer que tant qu'il conserve la conviction qu'il n'existe pas un ailleurs où son "bonheur" serait mieux assuré. Il en sera ainsi tant que les gens n'entreront en politique avant tout que pour défendre des idées et non des "places" et tant qu'ils n'auront d'autres moteurs à leur action politique que le gain, la haine, l'aigreur, la frustration ou la jalousie (...). Le vagabondage politique est donc fondamentalement une conséquence de la vacuité d'idéologie du marché politique gabonais"[116].

Il faudra attendre la révision de l'article 39 de la constitution qui prévoit comme l'explique Guy Rossatanga par expression imagée que "le conjoint [l'élu] qui déciderait malgré tout de rompre l'union devrait perdre tout ce qu'il a acquis [le mandat] dans le mariage au motif puéril que c'est grâce à l'autre conjoint [le parti] qui l'aurait obtenu"[117]. Mais au lendemain de cette révision constitutionnelle, une autre forme de vagabondage politique va naître, à savoir, celui des "états-majors politiques" qui rejoindront la majorité politique. "En effet la nouvelle formulation de l'article 39 pêche par son incomplétude (...). Si l'on a pensé à traiter le cas des élus qui "tournent casaque", l'on a oublié d'envisager l'hypothèse où c'est le parti qui change de camp et où, par exemple, un seul membre du parti décide de le quitter au même motif que le parti aurait trahi ses électeurs. Dès lors ne sera sanctionné que l'élu qui n'aura pas suivi son parti dans la dérive (consistant à passer de la majorité à l'opposition et inverse), alors que, moralement, c'est le parti qui est dans "le mal »[118].

Dans les années qui suivront les Accords de Paris de 1994, cette pratique prendra une ampleur inquiétante si bien qu'un bon nombre d'analystes politiques se demanderont s'il existe encore une opposition. Ce vagabondage sera plus précisément le fait des partis politiques crées dans le courant de l'avant et de l'après conférence nationale par dépit amoureux ou aigreur par des anciens hiérarques du parti au pouvoir afin de mieux négocier leur retour à l'étable du "Père". C'est sera le cas du Cercle des libérateurs formateurs (C.L.R) de Jean Boniface Assélé, le Parti de l'Union du Peuple  (P.U.P) de Lousi-Gaston Mayila et l'Alliance démocratique républicaine (A.D.E.R.E) de Divungui di djob di Ndingue et le Parti social-Démocrate (P.S.D) de Pierre-Claver Maganga-Moussavou. Les partis de l'opposition dite radicale ne seront pas en reste à l'orée des années 2002 avec la conversion de Paul Mba Abessole à la "politique de la convivialité".

Outre la géopolitique ethnique sur laquelle le président Bongo s'est longtemps appuyée pour diriger le pays, l'instauration du multipartisme et la gestion des courants au sein du parti démocratique gabonais, du gouvernement et de la haute administration publique va donner naissance à ce qu'on appelle en italien la "lottizzazione. Cette nouvelle gouvernance prendra de l'ampleur en perspective des présidentielles qui se profilent à l'horizon et après celles-ci car le président Bongo aura besoin d'une majorité présidentielle composé de partis politiques pour gouverner. Le régime des partis "conjugue la présidentocratie et la particratie, les inconvénients de la monarchie et ceux de l'anarchie. le choix des ministres obéit à deux principes de sélection et de dosage : d'une part la faveur présidentielle, d'autre part (...) la répartition des postes au prorata des partis composant la majorité, ou, en l'occurrence, des courants entre lesquels s'éparpille la majorité, et qui ont tendance à se multiplier, d'ailleurs, au fur et à mesure que le parti devient moins majoritaire"[119].

L'expérimentation de cette géopolitique des partis et des courants se manifestera lors des législatives de septembre 1990. Le groupe parlementaire PDG issu de ces élections sera un pur dosage politique. On y compte les Rénovateurs qui semble s'être taillé par du lion avec son meneur, Ali Bongo, qui est élu député de Bongoville, la ville natale de son père ; Paul Toungui, chef du clan des Appellistes puis les caciques tels que Zacharie Myboto, élu député de Mounana.

La composition du nouveau gouvernement dans lequel on retrouve 8 ministres de l'opposition et 3 de la société civile n'échappe pas à cette nouvelle géopolitique des partis et des courants. Au sein de ce gouvernement dont la barre est à nouveau confiée à Casimir Oyé, lui aussi élu député du Komo-Mondah, Ali Bongo conserve son portefeuille de ministre des Affaires étrangères. Paul Toungui fait son entrée au gouvernement avec quelques affidés de son état major, au prestigieux poste de ministre de l'Economie et des Finances. Quelques caciques qui ont donné des bons gages au président Bongo ne sont pas en reste. C'est le cas de Zacharie Myboto. Il conserve son portefeuille des Travaux publics.

Mais si l'éviction de Zacharie Myboto des instances du parti est un choc auquel il était préparé selon ses propres dires, il n'en sera pas de même lorsque le président se marie au mois de (cette même année 1990) avec Edith Lucie Nguesso, la fille du président Congolais Denis Sassou Nguesso. Car depuis quelques années, Chantal, la fille de Myboto est la maîtresse attitrée du président Bongo depuis son divorce avec Joséphine Kama. Cette union entre Bongo et la fille de Sassou Nguessou brise une occasion de resserer ses liens avec celui-ci au moment où les Rénovateurs ont lancé leur OPA sur le parti. Les nombreux détracteurs de Zacharie Myboto diront plus tard que s'il conserve son portefeuille au gouvernement et gagne son élection à l'Assemblée nationale, c'est parce que le président Bongo continue à filer le parfait amour avec sa fille, mère d'un de ses enfants, ce malgré son mariage avec Edith Lucie Sassou Nguessou. Comme on le voit, le président Bongo choisi plutôt de renforcer ses liens avec le Congo voisin en épousant la fille de Sassous Nguesso au détriment des Nzebi, l'une des plus importantes ethnies du Gabon auquel Zacharie Myboto appartient.

Quelques mois après la formation du nouveau gouvernement, une nouvelle constitution est promulguée le 27 mars 1991. Si cette constitution garantit l'unité et la souveraineté de la nation, affirme son attachement aux droits de l'homme et réorganise les pouvoirs publics, entérine la création des institutions telles que la Cour constitutionnelle, le conseil nationale de la démocratie, le commission nationale électorale, le conseil national de la communication, le conseil économique et social, elle instaure en réalité un régime présidentocrate que le juriste Guy Rossatanga-Rignault appelle "présido-parlementaire" ou "présido-parlementarisme" car les attributions du Président de la République gabonaise ressemblent fort à celles d'un président français de la Cinquième République. Le président de la République conserve de larges pouvoirs comme celui de dissoudre l'assemblée nationale, déclarer l'état de siège, repousser l'adoption d'une loi, décider d'un référendum ainsi que nommer le premier ministre et les membres du gouverner, nommer à tous les emplois civiles et militaires.

En février 1992, les rangs de l'opposition seront grossis par l'arrivée d'un autre ancien hiérarque du P.D.G en la personne de Jean-Pierre Lemboumba. Après avoir échappé à une mystérieuse tentative d'assassinat commandité sans vraisemblance par le pouvoir auquel il appartient, il démissionne du P.D.G et cofonde avec Jérôme Okinda le Parti gabonais du centre indépendant (P.G.C.I). A l'approche de la présidentielle de décembre 1993 à laquelle il prendra part, il devient le principal mécène de l'opposition avec le trésor qu'il aurait accumulé pendant toutes les années qu'il aura passées auprès du président Bongo.

Le gouvernement convoque les élections présidentielles, les premières de l'ère multipartiste, pour le 5 décembre 1993. Sur la ligne de départ, outre la candidature du président Bongo, on compte 12 autres candidats parmi lesquels un bon nombre d'anciens hiérarques du P.D.G tels que Léon Mébiame (inamovible ancien Premier ministre), Jules Bourdès Ogouliguendé (ancien président de l'Assemblée nationale), Jean-Pierre Lemboumba Lepandou (ancien directeur de cabinent du président de la République et ancien ministre de l'Economie et des Finances), Divungui (ancien ministre de l'Energie), Marc Nan Nguema (ancien directeur de l'Opep), . Les opposants radicaux ne seront pas en reste : Paul Mba Abessole du Morena-Bûcheron, Louis Agondjo-Okawé  du P.G.P, Léon Mbou Yembi du F.A.R et bien d'autres. Si le scrutin se déroule dans un calme malgré quelques imperfections dues à son organisation, la publication des résultats donneront lieu à des fortes soupçons de fraude. Laissons Zacharie Myboto nous raconter dans quelles circonstances ses résultats sont connus : "La tentation de conserver le pouvoir par tous les moyens se manifesta (...) lors des présidentielles de 1993. Autant dire que, face au président sortant, de nombreux candidats se présentaient dont le plus sérieux était le président du [Morena-Bûcherons], Paul Mba Abessole. Tout le monde prédisait un scrutin serré. Il le fut, en effet, et à un point tel que le ministre de l'Intérieur, M. Antoine Mboumbou Miyakou proclame les résultats avant même que tous les décomptes lui parvenus ! Autrement dit, il annonça que le président était réélu [avec 51,1%¨des suffrages exprimés devant Paul Mba Abessole avec 27,50%] dès le premier tour sur la base de résultats truqués. (...) Cette réélection miraculeuse cachait mal la falsification des résultats du scrutin. La vérité était que le président était en ballotage et qu'on aurait dû procéder à un second tour ! (...) Le président-candidat rejeta cette exigence constitutionnelle. Quelques heures plus tard, le ministre de l'Intérieur appela la presse en catimini, profitant d'une pause de fin de journée de la commission électorale et fit sa déclaration à la surprise de ceux qui étaient présents"[120]. L'annonce de ces résultats va donner naissance à une forte contestation des résultats de la part de l'opposition. S'estimant vainqueur de cette élection, Paul Mba Abessole appelle à la désobéissance civile et à la grève générale. L'opposition se regroupe au sein du Haut Conseil de la Résistance (H.C.R) et forme un gouvernement parallèle. Des émeutes éclatent à Libreville et à Port-Gentil. La répression est immédiate. La Radio Liberté que le président Bongo surnomme la "Radio du diable" est rasée par la garde présidentielle. Le pays évite de peu la guerre civile. L'issue de la crise viendra de l'appel du leader du P.G.P Louis Agondjo Okawè qui invite "toute la classe politique à une "Paix des Braves". Un appel entendu à la présidence [de la République] : bien structurée et implantée dans l'opinion publique, l'opposition comptait quelques députés de moins seulement que la majorité à l'Assemblée nationale - écart trop faible pour ne pas tenir compte de ses revendications. Elle proposa le principe d'une rencontre majorité-opposition pour réfléchir sur le contenu de cette paix et à l'avenir de [la] vie politique"[121]. Dès lors, la voie des négociations est libre. Celles-ci débutent à Paris le 5 septembre 1994 et déboucheront sur ce qu'on va appeler "Les Accords de Paris". Ceux-ci seront signés par les deux parties à Libreville le 7 octobre 1994. Ces accords préconisent entre autre le renforcement de l'Etat de droit, la refonte du code électorale, la création du Conseil national, la Commission nationale électorale et la formation d'un gouvernement d'union nationale.

En réalité, l'appel de cette rencontre entre l'opposition et la majorité présidentielle est suscité par Zacharie Myboto et quelques Caciques. Le leader du P.G.P s'en fait le porte-voix pour plus de crédibilité aux yeux de l'opinion. Le refus de Paul Mba Abessole de participer à des négociations qui s'ensuivront trouve peut-être là son origine. Le fait même que la sortie de cette grise née de la contestation des résultats de la présidentielle remportée par le président Bongo viennent des Caciques est aux yeux des Rénovateurs une manœuvre voilée pour tenter de limiter leur emprise comme ce fut le cas lors de la rédaction de la Constitution de 1990 dont l'un des alinéas les visa directement en les évinçant du gouvernement. Chat échaudé fuit l'eau froide. les Rénovateurs trouvent dans l'appel de Louis Agondjo-Akawè une belle occasion de revenir au devant de la scène. Aussi convainquent-ils le président Bongo de leur accorder le mandat de mener les ambassades avec l'opposition sous l'égide de la France, l'Union européenne (U.E) et de l'Organisation de l'unité africaine (O.U.A). Pour cela, ils mettent en scelle un de leurs valeureux chevaliers, Jean-François Ntoutoume Emane, qu'ils avaient déjà pressenti au poste de Premier ministre en 1990 n'eût été l'opposition des Caciques en tête desquels Zacharie Myboto, qui proposèrent un certain Casimir Oyé Mba. Zacharie Myboto, pressenti pour conduire la majorité présidentielle à ses pourparlers qui se tiendront à Paris est mis sur le carreau comme il l'explique lui-même : "[L'opposion] chercha qui, dans la majorité, devait conduire la délégation et son choix se porta sur moi. Me Agondjo en avisa le président qui m'en informa et nous nous rencontrâmes, lui et moi, pour mettre au point une méthode et un plan de travail. Les choses avançaient plutôt bien lorsque j'appris que j'étais dessaisi de la présidence de la délégation de la majorité pour être remplacé par Jean-François Ntoutoume Emane, pour des raisons infondées d'ordre plus subjectifs qu'objectif (...) Sous un un prétexte on ne peut plus fallacieux, le clan dit des "Rénovateurs" du PDG réussit à m'écarter des négociations. A mon grand regret, naturellement, car je pense que j'aurais pu apporter quelque chose d'utile à cette rencontre et éviter les règlements de comptes ultérieurs"[122].

Zacharie Myboto a mal vécu son éviction des négociations des Accords de Paris. En fin manœuvrier, il va saisir la balle au rebond comme il l'explique si bien : "Dans leur volonté, réelle, de trouver des solutions à nos problèmes, les négociateurs étaient revenus avec des propositions concrètes. Mais, pour les appliquer, ils suggéraient de mettre la Constitution en veilleuse. En d'autres termes, ils voulaient imposer une sorte d'état d'exception qui ne disait pas son nom ! Naturellement, pour des raisons évidentes, nous avons été plusieurs à nous y opposer formellement. Avec l'argument suivant : les négociateurs étaient allés à Paris sans aucun mandat du peuple. Ils n'étaient, pour certains, que les représentants d'institutions constitutionnelles et n'avaient pas été élus, ce qui leur retirait toute légitimité pour proposer de se passer de la Constitution. (...) si les propositions étaient émises du domaine législatif, elles devaient être formulées sous forme de loi et aller devant le parlement ; si elles relevaient du pouvoir réglementaire, elles pouvaient être prises par des décrets ou des arrêtés ; enfin, si elles nécessitaient un référendum, il fallait en organiser. Ma position était on ne peut plus claire : elle défendait la Constitution et le pouvoir du Parlement (...) Je signale que deux délégués qui avaient été à Paris, Pierre Claver Maganga Moussavou, leader du P.S.D, et Alexandre Sambat, leader du R.D.P aujourd'hui décédé, vinrent nous voir, le ministre Idriss Ngari et moi, pour discuter et tenter d'infléchir notre position. Ils souhaitaient obtenir notre caution pour voir les choses aboutir conformément à leurs espoirs. Nous sommes restés fermes sur nos positions. Après un débat franc, la voix de la sagesse et droit l'a emporté. Finalement, les Accords de Paris ont été mis en application en en tenant compte. Des lois ont été votées et, lorsqu'il a fallu proroger le mandat des députés, nous avons organisé un référendum pour que le peuple donne son accord »[123].

La défense de la Constitution et du parlement que prône Zacharie Myboto cache mal ses propres intentions. Dans un premier temps, les Caciques voient l'application des Accords de Paris sans tenir compte de la Constitution comme une violation de celle-ci, violation que l'opposition signataire des mêmes accords pourrait reprocher au pouvoir. Dans un second temps, la volonté affichée des Caciques de traduire ces accords par des décrets pris par le gouvernement ou des projets de loi approuvés par le  Parlement pour leur application est une manière voilée d'ôter toute légitimé aux négociateurs de ces mêmes accords, parmi lesquels, les Rénovateurs ! L'organisation du référendum en juillet qui proroge le mandat des députés est une victoire pour les Caciques. Et la joie que manifeste Zacharie Myboto n'en témoigne pas moins : "Pour assurer la communauté internationale de l'adhésion de l'ensemble de la classe politique à ces accords, je fus chargé de conduire une mission majorité/opposition aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Belgique à l'Union européenne aux fins d'expliquer aux autorités compétentes le contenu desdits accords et traduire notre volonté de les appliquer (...) On le voit, mon rôle n'a pas été mince. Le président Bongo Ondimba l'a d'ailleurs reconnu, le 17 décembre 2004, dans son discours à l'occasion de la célébration du dixième anniversaire de ces accords"[124].

C'est fort de ce succès que les Caciques imposeront un des leurs, le Dr Paulin Obame Nguema comme Premier ministre en octobre 1994, au détriment de Jean-François Ntoutoume Emane, soutenu par les Rénovateurs. Mieux encore. Les Caciques revalorisent leur blason au sein du gouvernement avec la présence du général Idriss Ngari au poste de ministre de la Défense. Dès lors, Zacharie Myboto et Idriss Ngari vont incarner les visages du "caciquisme" contre lequel les Rénovateurs vont aller en guerre !

 

4.

 Au lendemain de la présidentielle de 1993 dont la contestation des résultats par l'opposition regroupée au sein du Haut Conseil de la Résistance (H.C.R) aboutiront aux Accords de Paris sous l'égide de la France et de l'OUA, Zacharie Myboto, avec quelques autres hiérarques du parti tels que Georges Rawiri, Antoine Mboumbou Miyakou incarnent le visage des Caciques sur le dos duquel les jeunes loups du clan des Rénovateurs vont casser du sucre. Nouveau venu dans l’écurie, le général va cristalliser.

Les élections locales de 1996 ne représentent aucun enjeu pour les Rénovateurs. Aussi laissent-ils le champ libre aux Caciques. Et ils n’auront pas tort. Car outre l’élection de Zacharie Myboto et Idriss Ngari comme maire de Mounana et de Ngouoni, l’opposition s’arrogera les municipalités des principales villes du pays. Paul Mba Abessole prend la tête de la Mairie de Libreville, Le PGP celle de Port-Gentil et l’UPG de Pierre Mamboundou celle de Ndendé.

Les élections législatives de la même année vont donner lieu à un affrontement entre les Rénovateurs, les Appelistes et les Caciques. Ali Bongo Ondimba lance ses troupes sur les bastions tenus jusque-là par les barons du régime. André Mba Obame se fait élire député de Medouneu. Les autres affidés de la clique n’en sont pas en reste : Angélique Ngoma, Alfred Mabika, Pendy Bouyiki, Ngoyo Moussavou, Emmanuel Ondo Methogo, François Owono Engongah…

En véritable chef d’état-major, Ali Bongo Ondimba mène les troupes lui-même. Il se présente à Bongoville, village natal de son père. Dans le sérail politique, le positionnement d’Ali Bongo dans le Haut-Ogooué et plus précisément dans le village natal de son père, n’échappe à personne. Nombreux y voient une manière voilée du président Bongo de placer Ali Bongo sur l’orbite de la succession qui n’est plus un sujet tabou dans certains milieux restreints du pouvoir. Les antagonismes étant extrêmement exercés au sein du parti, les caciques verront le positionnement d’Ali Bongo à Bongoville comme une manière de disputer le leadership de la province du Haut-Ogooué à leurs têtes de proue Idriss Ngari et Zacharie Myboto. Ces derniers vivront mal le fait qu’Ali Bongo vienne chasser sur leur terre avec la bénédiction du président Bongo. Aussi ne manquent-ils pas de se gausser de la légitimité d’Ali Bongo car celui-ci a contre lui le fait qu’il ne parle pas la langue de son père et ne dispose d’aucun domicile à Bongoville. Et ce n’est guère un secret de polichinelle, Ali Bongo ne fait pas l’unanimité à Bongoville. Il ne devra son élection à l’Assemblée nationale qu’au coup de pouce que lui donnera son père.

Ce coup de pouce marque en réalité la cassure entre Zacharie Myboto et Omar Bongo Ondimba. Car les années qui suivront seront marquée par la montée en puissance d’Ali Bongo tant dans les instances du parti que dans l’appareil gouvernemental. Zacharie Myboto s’en rendra compte dès le lancement de la campagne pour la présidentielle de décembre 1998.

La percée des Rénovateurs aux législatives va déteindre sur le nouveau gouvernement que forme en janvier 1997 Paulin Obame Nguema reconduit dans ses fonctions de Premier ministre. Ali Bongo Ondimba ne manifeste aucune envie d’intégrer ce gouvernement car il sait que les jours de Paulin Obame Nguema à la tête de ce gouvernement sont comptés avec la perspective de la présidentielle de 1998. Toutefois, il place quelques-uns de ses affidés parmi lesquels André Mba Obame (ministre des Relations avec le Parlement), Angélique Ngoma (secrétaire d’Etat aux Affaires sociales), Emmanuel Ondo Methogo, Jean-Rémi Pendy Bouyiki…

Les élections présidentielles sont convoquées pour le 6 décembre 1998. Face au président Bongo, candidat à sa propre succession, cinq autres candidatures : Pierre-Claver Maganga-Moussavou, Pierre Kombila, Pierre Mamboundou, Paul Mba Abessole… Malgré une faible participation et des irrégularités, le président Omar Bongo est réélu avec une majorité de 66,9% des suffrages exprimés.

La victoire du président Bongo à ce scrutin est en réalité celle des Rénovateurs qui en ont fait un tremplin. Le gouvernement qui sera formé au lendemain de cette élection sera paré à leurs couleurs. Un de leurs poulains, Jean-François Ntoutoume Emane, directeur de campagne du président Bongo durant la présidentielle, est nommé Premier ministre.

Ali Bongo est de retour au gouvernement. Il s’offre la tête de son cousin Idriss Ngari sur l’hôtel du ministère de la Défense dont on lui confie les clés. L’équipage du chef d’état-major des Rénovateurs n’est pas en reste. Emile Doumba hérite du portefeuille de l’Economie. Son plan d’austérité suscitera le courroux des Caciques parmi lesquels Zacharie Myboto qui se plaidera auprès du président Bongo de l’amenuisement des fonds alloués à son ministère. André Mba devient ministre de l’Education nationale, porte-parole du gouvernement. Angélique Ngoma s’offre le ministère de la Famille qui deviendra durant plusieurs années sa chasse gardée. Alfred Mabika, un autre rénovateur bon teint, prend le portefeuille du ministère du Commerce, Jean-françois Ndongou est lui ministre délégué auprès du ministre de l’Economie.

La présidentielle marquée par l’entrée en force des Rénovateurs au gouvernement estampille en réalité la rupture entre Zacharie Myboto et le président Bongo. Zacharie Myboto en donne les signes symptomatiques : « (…) pendant la campagne, j’ai senti que le climat entre nous (le président Bongo et lui) n’était plus le même qu’autrefois. Quelque chose semblait cassé. J’avais le net sentiment qu’on se méfiait de moi en dépit de mes fonctions de président du Comité d’organisation de la campagne »[125].

Pour Zacharie Myboto, la méfiance qu’afficherait le président Bongo à son endroit viendrait d’un sondage qui le place en tête de peloton d’éventuels prétendants au trône comme il explique-lui-même : « En effet, dans la perspective des élections présidentielles de décembre 1998, le président [Bongo] voulut connaître le moral de la nation et les intentions des votants. Il fit réaliser des sondages… et se rendit compte que je faisais partie des gens vers lesquels les regards se tournaient. Crédité de plus de 20% d’intentions de vote, un score important eu égard au nombre de personnalités citées dans le sondage, j’apparus soudain comme un dangereux challenger. Je n’avais pourtant manifesté aucune intention de me présenter aux élections présidentielles. Malgré cela, le président et son entourage ont pris ombrage de ce résultat ».[126]

En réalité, la raison de la rupture entre le président Bongo et Zacharie Myboto ne vient pas de ce sondage. On peut toutefois concéder à Zacharie Myboto que la raison qui l’oppose aux Rénovateurs en tête desquels Ali Bongo et André Mba Obame est la question de la succession du président Bongo qui est relancée dès la réélection de celui-ci au lendemain de la présidentielle de décembre 1998.

Si Zacharie Myboto possède les qualités d’un prétendant putatif pour être crédité de 20% d’intentions de vote dans un sondage, le président Bongo n’en fait pas son chouchou. Et Zacharie Myboto ne l’ignore pas. Le président Bongo qui n’ignore pas non plus les appétits élyséens de Zacharie Myboto a une préférence pour les Rénovateurs. En confiant à Ali Bongo le poste de la Défense nationale en janvier 1999, il lui confie les clés du pays. Saint-Pierre en gardait celles du Paradis. Dès lors, Zacharie Myboto sait qu’il doit devoir porter le deuil de ses visées élyséennes.

 Zacharie Myboto reproche au président Bongo sa partialité dans le conflit qui l’oppose aux Rénovateurs. Les premiers coups de boutoir donnés par les Rénovateurs à son endroit à partir de 1990 avaient fini par reléguer Zacharie Myboto au musée des hommes du passé. Il n’y a pire injure en politique.

Le président Bongo n’aime pas les prétendants impétueux. Pourtant, Zacharie Myboto estime avoir la légitimité d’un prétendant putatif. Il a été l’un des plus fervents thuriféraires du régime quand d’autres quittaient le navire ou quand des nouveaux venus – les Rénovateurs - avaient voulu le saborder dans les années tumultueuses de 1990. Toutes ces années, Zacharie Myboto avait fini par accumuler amertume et jalousie. Ne dit-on pas que les blessures d’orgueil sont douloureuses et cicatrisent lentement ? A l’aube de l’année 1998, Zacharie Myboto donne des signes d’impatience doublés d’une pointe de rébellion. Il en a assez d’être tenu à la lisière du cœur du pouvoir, de jouer les seconds rôles au profit de ses rivaux – comme c’est fut le cas lors des négociations qui déboucheront sur les Accords de Paris en 1994 -, d’être récompensé sans l’avoir mérité : « En 1999, le président Bongo ajouta, écrit-il,  le ministère de la Ville à mon portefeuille [ministère des Travaux publics, de la Construction et de l’Equipement] déjà très chargé. Etait-ce un signe de confiance ou, au contraire, une façon de donner le changer ? »

Zacharie Myboto affirme ne s’être pas posé la question. Pourtant, auprès du président Bongo, il ne cesse de pousser des coups de gueule avant de rentrer dans le rang comme un amant désespéré, blessé qui attend un signe… mais un signe qui ne viendra jamais. Car les assauts, les menaces de démission de Zacharie Mybo ont fini par révéler au président Bongo que son vieil ami est devenu plus Mybotiste que bongoïste. Là est la fissure par laquelle s’engouffreront les vents mauvais durant les trois années qui restent à leur couple. Les pansements  ne suffiront pas sous les coups de boutoir des Rénovateurs qui ont décidés d’achever la bête Myboto agonisant dans la fange !

En véritables mercenaires de la politique, les Rénovateurs lancent leurs coups de semonce quelques mois après la réélection du président Bongo : « (…) deux mois après la réélection du président en 1998, le quotidien [L’Union] lança un débat sur sa succession… Cela parut dans l’opinion aussi incongru qu’étonnant. Mais lorsque je reçus un jour, la visite d’un journaliste de ce quotidien, les choses devinrent plus claires. Il voulait savoir si j’avais l’intention de succéder à Omar Bongo. « Pourquoi me posez-vous cette question ? lui ai-je demandé. Parce que des rumeurs vous visant courent la ville à ce propos. Pourquoi ne réagissez-vous pas ? » insista-t-il. « Parce que je ne suis au courant de rien et que tout cela ne me concerne pas », répondis-je. Un peu plus tard, M.Agondjo déclara sur Radio France que le président [Bongo] était malade et que nous avions évoqué sa succession. J’ai répliqué aussitôt en lui demandant d’apporter les preuves de ce qu’il avançait. Je ne les ai jamais eues,  cela va sans dire »[127].

Zacharie Myboto aurait dû se poser des questions lorsque le président Bongo, le conservant au gouvernement comme ministre des Travaux publics, lui adjoint la charge de la Ville au lendemain d’une présidentielle à laquelle il n’avait pas joué un rôle majeur car ce portefeuille va devenir pour lui un cadeau empoisonné : « (…) à partir de 1998, j’ai vu les budgets du ministère s’amenuiser. Quel meilleur moyen de me déconsidérer aux yeux de mes compatriotes que de me priver des moyens de ma mission (…). L’idée était simple : si les routes étaient mauvaises, si les chantiers n’avançaient pas, c’était à cause de moi et, par voie de conséquence, la bonne image que j’avais auprès de la population serait ruinée »[128].

Les Rénovateurs ont découvert le talon d’Achille de Zacharie Myboto. Ils vont foncer sans état d’âme, sans doute avec la bénédiction du président Bongo. Sous les coups de boutoir, Zacharie Myboto va développer une paranoïa : « En 2000, je constatai que, pour l’épreuve de géographie du BEPC, le ministre de l’Education nationale avait prévu un sujet sur l’état du réseau routier gabonais. Il était demandé aux candidats de rédiger un commentaire sur les rues de Libreville et sur une route de l’intérieur. Au moment où nos infrastructures étaient au cœur des polémiques, le choix de ce sujet me parut d’autant plus suspect qu’il n’était pas conforme au programme de Troisième »[129].

Le ministère de l’Education nationale étant détenu par André Mba Obame, le fidèle lieutenant louvetier d’Ali Bongo Ondimba, Zacharie Myboto voit  derrière ce sujet proposé au BEPC la main noire des Rénovateurs : « Manifestement, c’était fait à dessein. Les premiers instants de stupeur passés, j’ai compris que j’étais en face d’une opération particulièrement perverse : on s’ingéniait à liguer une partie de la jeunesse contre moi. Or la jeunesse d’un pays, c’est son avenir, ce sont des citoyens amenés à voter quelques années plus tard. Si certains voulaient écarter le risque de voir ces jeunes se porter demain vers moi, il suffisait d’insinuer dans leur esprit que j’étais incompétent et que je travaillais contre mon pays. Utiliser les examens scolaires pour faire passer des messages négatifs était incapable et témoignait d’une action délibérée. Cette fois, les choses allaient décidément trop loin et j’ai décidé de réagir »[130].

Zacharie Myboto s’en plaindra plus tard au conseil des ministres : « (…) j’ai distribué le sujet à tous les membres du gouvernement et, bien entendu, au président de la République lui-même. Puis j’ai pris la parole pour m’étonner que l’on propose un sujet inadapté et manifester sans ambages mon refus de passer pour un bouc-émissaire. Puis, me tournant vers le président, je lui ai dit que si le ministre de l’Education nationale, André Mba Obame, pensait pouvoir faire mieux que moi, il n’avait qu’à le nommer à ma place »[131].

Dès cet instant, Zacharie Myboto développe des signes de révolte. Car sa soumission n’a jusque-là guère payé. Zacharie Myboto espère de cette plainte un arbitrage du chef de l’Etat, mais il n’en sera rien comme il le constate lui-même : « (…) le ministre de l’Education [André Mba Obame] voulut répondre mais le président ne lui donna pas la parole. Et, comme d’habitude, nous sommes passés à la suite de l’ordre du jour [du conseil des ministres]… »[132].

Au fil des mois, le fossé entre le président Bongo et Zacharie Myboto va se creuser. Le président Bongo, en franc-tireur plein d’humour, n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur son ancien prévôt : « (…) en novembre 2000, le président [Bongo] de retour d’un voyage à l’étranger, m’attaqua de manière aussi brutale. Interviewé à sa descente d’avion, sur les difficultés auxquelles étaient confrontées les populations de la zone du Cap – difficultés liées au manque d’eau courante et d’électricité et au mauvais état de la route dont les six premiers kilomètres étaient en travaux après un appel d’offre régulièrement mené -, il se mit à parler de cette route, déclarant que les prix de construction étaient trop élevés, qu’il ne comprenait pas que l’Etat ait besoin de tant d’argent pour ce chantier, que tout cela n’était pas normal. Une accusation directe qui laissait entendre une mauvaise utilisation des fonds »[133].

 

Les relations que le président Bongo entretient avec Zacharie Myboto à cette époque ressemblent fortement à celles que connurent Philippe Séguin et Jacques Chirac. Avec Zacharie Myboto, « c’est guerre et paix en permanence, sans que l’on puisse savoir à l’avance dans quel état d’esprit il se trouve. Dès qu’une situation s’améliore il se retire, de peur qu’on l’exclue ; dès qu’elle s’empire, il s’en va bouder, grogner, rager, gronder, puis tempêter. Il faut sans cesse le surveiller, aller le chercher, le rassurer, le réconforter : un sacré baby-sitting. » (note…)

Et ce rôle de baby-sitter, le président Bongo n’est pas prêt de le jouer auprès de Zacharie Myboto. Et c’est sera les raisins de la rupture. Dès lors, Zacharie Myboto ne trouve plus goût au couple qu’il forme avec le président Bongo : « Travailler dans les conditions qu’on m’imposait se révéla bientôt impossible. Moyens budgétaires limités, environnement insidieusement ou ouvertement hostile, rumeurs détestables sur mon compte. (…) J’ai sérieusement souffert de ces mois où une guerre non déclarée était ouverte contre moi. Il était désespérant d’avoir consacré tant d’énergie à contribuer à la modernisation du pays et de voir mis en cause cet engagement par sadisme. Le plus pénible était de répondre à ces attaques. Ma famille et mes amis en souffraient, eux aussi et me soutenaient autant que possible »[134].

Et la raison pour rompre les épousailles, Zacharie Myboto la trouve en janvier 2001 :

« Le 7 janvier 2001, on mit entre mes mains un des cinq mille exemplaires du tee-shirt offert aux manifestants pour marcher dans les rues de la capitale. Dessus étaient imprimés en grosses lettres ces mots : « Le collectif des Associations des Jeunes demande le départ de Zacharie Myboto. Trop c’est trop ! ». (…) En même temps, on m’a informé que la manifestation était prévue pour la semaine suivante, qu’elle devait partir du carrefour Rio, se diriger vers mon domicile, après un arrêt à la présidence de la République, en scandant des slogans hostiles et que des actions violentes étaient programmées devant chez moi »[135].

La version officielle voudrait que Zacharie Myboto ait envoyé sa lettre de démission auprès du président Bongo :

« Monsieur le Président de la République,

Devant les intrigues et manipulations incessantes dont je suis la cible depuis quelques mois et qui ne favorisent ni une collaboration empreinte de confiance réciproque ni, par conséquent, un travail fécond, j’ai l’honneur de venir, par la présente lettre, vous remettre ma démission du Gouvernement que j’avais déjà, librement et sans condition aucune, demandé, malheureusement sans succès de quitter en 1990 et après l’élection présidentielle de 1998 »[136]. Une autre version voudrait que Zacharie Myboto aurait rencontré le président et lui aurait dit : « Monsieur le Président, ce sont eux ou moi ». Devant le refus du président Bongo, Zacharie Myboto aurait démissionné.

Vrai ou faux, Zacharie Myboto démissionne officiellement du gouvernement le 11 janvier 2001. Et la suite de l’histoire, tout le monde la connaît. Les nombreuses ambassades menées en secret ne réconcilieront pas les deux hommes.

 

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[1] Janis Otsiemi, Guerre de succession au Gabon : les prétendants, Edilivre, p..

[2] Omar Bongo Ondimba, Blanc comme nègre, Grasset, p.21.

[3] Idem, p.28.

[4] Idem, pp.29-30.

[5] Idem, p.25.

[6] Idem, pp.29-30.

[7] Idem, p.30.

[8] Idem, pp.30-31.

[9] Idem, p.32.

[10] Idem, pp.32-33.

[11] Idem, pp.35-36.

[12] Idem, p.36.

[13] Zacharie Myboto, J’assume, Publisud, p.10.

[14] Idem, p.10.

[15] Idem, p.15.

[16] Idem, p. 11.

[17] Idem, pp.12-13.

[18] Idem, p.13.

[19] Idem, p.14.

[20] Idem, p.14

[21] Idem, p.14.

[22] Idem, p.15.

[23] Idem, pp.15-16.

[24] Idem, pp.18-19.

[25] Idem, p.19.

[26] Idem, p.20.

[27] Idem, 21.

[28] Idem, p.23.

[29] Un homme, un pays, El Hadj Omar Bongo, Le Gabon, Les Nouvelles Editions Africaines, Dakar, 1984, p.58.

[30] Zacharie Myboto, J’assume, Publisud, p.25.

[31] Idem, p.26.

[32] Florence Bernault, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo-Brazzaville, Gabon : 1940-1965, Karthala, 1996, p.93.

[33] Zacharie Myboto, J’assume, Publisud, pp.26-27.

[34] Idem, pp. 27-28.

[35] Idem, pp.28-29.

[36] Idem, pp. 28-29.

[37] Idem, p.30.

[38] Grégoire Biyogo, Omar Bongo Ondimba. L’Insoumis, L’Harmattan, ….

[39] Un homme, un pays, El Hadj Omar Bongo, Le Gabon, Les Nouvelles Editions Africaines, Dakar, 1984, p. 58.

[40] Idem, p.58.

[41] JA, p.31.

[42] JA, p.32.

[43] JA, p.36.

[44] JA, p.34.

[45] JA, p.35.

[46] JA, p.37.

[47] JA, p.38

[48] JA, p.40.

[49] JA, p41.

[50] JA, p.42.

[51] Gaston Rapontchombo, Le président Léon Mba et les débuts de la République gabonaise. Chronique de dix années d’histoire (1957-1967), Editions du Silence, 2007, p.200.

[52] Idem, p.209.

[53] Idem, p.208.

[54] Zacharie Myboto, J’assume, Publisud, p.45.

[55] Idem, p.46

[56] Guy Rossatanga-Rignault, L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, Editions Raponda Walker, p.122.

[57] Guy Rossatanga-Rignault, L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, Editions Raponda Walker, p.122.

[58] Idem, p.122.

[59] Gaston Rapontchombo, Le président Léon Mba et les débuts de la République gabonaise. Chronique de dix années d’histoire (1957-1967), Editions du Silence, 2007, p.219.

[60] J’assume, p.48.

[61] L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, Editions Raponda Walker, p.125.

[62] Idem, p.126.

[63] François Gaulme, Le Gabon et son ombre, p. 144

[64] J’assume, p.50-51.

[65] Idem, p.54-55.

[66] Idem, p.56-57.

[67] Idem, p.57-58.

[68] Idem, p.58.

[69] Idem, p.62.

[70] L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, p.141.

[71] Idem, p.142.

[72] J’assume, p.63.

[73] Idem, p.63.

[74] Bonjean-François Ondo, Au service de l'Etat, p.215

[75] Guy Rossatanga-Rignault, L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, p.145.

[76] Idem, p. 145.

[77] Jean-François Revel, L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française, p.27-28.

[78] Idem, p.28.

[79] Michael Voslensky désigne par nomenklatura la liste des postes sensibles de l'Etat qu'occupaient les hauts fonctionnaires, les responsables et les personnalités politiques bénéficiant des privilèges spéciaux en URSS. Voire son livre)

[80] Jean-François Revel, L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française, p.28-29.

[81] Zacharie Myboto, J’assume, publisud, p.66

[82] Idem, p.66.

[83] Idem, p.67.

[84] Guy Rossatanga-Rignault, L’Etat au Gabon. Histoire et Institutions, p.147.

[85] Bonjean-François Ondo, Au service de l'Etat, p.253.

[86] Zacharie Myboto, J’assume, Publisud, p.72.

[87] Idem,pp.72-73

[88] Idem, p.74

[89] Idem, pp.68-69

[90] Métégué N’Nah, Histoire du Gabon : des origines à l’aube du XXe siècle, L’Harmattan,

[91] Guy Penne, Mémoires d'Afrique, entretiens avec Claude Wauthier, Fayard, p.98.

[92] Idem, p.102-103.

[93] Alain Duhamel, Les prétendants, Gallimard, p.250.

[94] Guy Penne, Mémoires d'Afrique, entretiens avec Claude Wauthier, Fayard, p.101-102.

[95] J’assume, pp.77-78.

[96] Guy Penne, Mémoires d'Afrique, entretiens avec Claude Wauthier, Fayard, pp.101-102.

[97] J’assume, p.95-96.

[98] Idem, p.96.

[99] Idem, pp.98-99.

[100] Bonjean-François Ondo, Au service de l'Etat, p.245.

[101] Cité par Jean Ping, Mondialisation, paix, démocratie et développement en Afrique : l’expérience gabonaise, L’Harmattan, p.81.

[102] Jean-François Revel, L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française , p.144.

[103] L’Etat au Gabon, pp 183-184.

[104] J’assume, pp.100-101.

[105] J’assume, pp.102-103.

[106] L’Etat au Gabon, p.189.

[107] L’Etat au Gabon, pp.189-190.

[108] J’assume, p.107.

[109] Idem, p.105.

[110] Idem, p.101-102.

[111] Idem, p.117.

[112] L’Etat au Gabon, p.198.

[113] Idem, p. 199.

[114] L’Etat au Gabon, p.200.

[115] Idem, p.217.

[116] Idem,p.218.

[117] Idem,p.220.

[118] Idem,p.220.

[119] Jean-François Revel, L'absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française, p.130.

[120] J’assume, pp.120-121

[121] Idem, pp.122-123.

[122] Idem, p.123.

[123] Idem, pp.124-125.

[124] Idem, p.125.

[125] J’assume, p.130.

[126] Idem, p.130.

[127] Idem, pp.130-131.

[128] Idem, p.131.

[129] Idem, p.137.

[130] Idem, p.138.

[131] JA, p.138.

[132] JA, p.139.

[133] JA, pp.142-143.

[134] JA, p.142.

[135] JA,p.144.

[136] JA, p.147.

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